2.1. Le papier

Nous considérerons trois types de facteurs de détérioration du papier :

  • Les facteurs endogènes, liés aux propriétés de la cellulose et à son vieillissement naturel

  • Les facteurs internes, liés aux autres composants du papier selon les procédés de fabrication

  • Les facteurs externes et leur influence particulière sur la détérioration du papier.

2.1.1. Les facteurs endogènes

  • Ces facteurs endogènes provoquent une altération de la cellulose.

Toute modification de la structure chimique ou de la disposition spatiale de la molécule de cellulose a pour conséquence des changements importants et directement perceptibles de ses qualités.

Les processus d'altération ont lieu d'abord dans la partie amorphe.

Ces processus sont principalement :

  • l'oxydation

  • l'hydrolyse

  • la formation d'un réticulé

Ces trois processus peuvent coexister et interagir.

ComplémentL'oxydation

L'oxydation modifie les groupes H-C-OH. En perdant un atome d'hydrogène, ils forment des groupes H-C=O (aldéhydes) très réactifs. A leur tour, ces groupes peuvent s'oxyder en liant un atome d'oxygène, pour former des groupes OH-C=O ( -CO OH), dits carboxyles. Cette réaction peut avoir lieu en différents endroits de la molécule. Les acides organiques sont caractérisés par la présence du groupe carboxyle -CO OH.

De l'oxydation de la cellulose résultent donc des acides organiques.

Pour cette raison, la mesure de l'acidité du papier donne une indication importante quant aux processus d' altération dans ce papier.

L'acidité est due à la présence de ions H+ (protons) qui existent sous une forme hydratée.

La mesure de l'acidité se fait dans une échelle pH (potentiel hydrogène). Le pH exprime la concentration de ions acides dans l'eau. A chaque unité de pH, l'acidité (ou l'alcalinité) augmente ou diminue de dix fois.

Le pH 7 correspond au point de neutralité ; c'est le pH de l'eau pure.

Un pH inférieur à 7 indique une solution acide.

Un pH supérieur à 7 indique une solution alcaline.

Le pH du papier peut varier entre une acidité marquée et une légère alcalinité.

Un papier de mauvaise qualité et fortement dégradé peut avoir un pH franchement acide (pH 3-4).

ComplémentL'hydrolyse

Les acides résultant de l'oxydation de la cellulose favorisent un autre processus d' altération : l'hydrolyse.

L 'hydrolyse est une réaction caractérisée par la rupture d'une liaison chimique par action ou en présence d'eau. La chaîne carbone, qui forme l'ossature de la molécule, se casse dans ses irrégularités.

La rupture de la chaîne carbone provoque une chute du degré de polymérisation : le papier perd alors toute solidité.

Au cours des processus d'oxydation et d' hydrolyse, il se forme aussi des réactions responsables du jaunissement du papier, qui est aussi un signe d'altération.

ComplémentLa réticulation

Les éléments issus de l'oxydation et l'hydrolyse réagissent aussi entre eux pour former de nouveaux complexes. La conformation des chaînes moléculaires s'en trouve modifiée : la chaîne se casse et de nouveaux liens se forment, en particulier dans les parties amorphes de la molécule qui perdent toute souplesse. Ce phénomène est appelé réticulation.

Le papier dont la cellulose a subi une réticulation devient rigide et cassant.

2.1.2. Les facteurs internes

Le processus d'altération de la cellulose est inéluctable : il fait partie du vieillissement naturel.

En revanche, ce vieillissement peut être plus ou moins rapide en fonction d'influences internes et externes.

Parmi les facteurs internes qui favorisent la dégradation du papier, nous pouvons distinguer

  • les composants du papier

  • les méthodes de production

2.1.2.1. Les composants du papier

La présence d' hémicelluloses et de lignine dans le papier augmente sa réactivité et provoque une très forte accélération des réactions d'oxydation, d'hydrolyse et de formation d'un réticulé.

La lignine

  • augmente la sensibilité du papier à la lumière, et en particulier au rayonnement ultraviolet, qui provoque une coloration jaune brunâtre.

  • Cause une diminution de la résistance mécanique du papier.

Les colles à base de colophane et d'alun donnent au papier un caractère acide.

Les charges introduites dans le papier peuvent être :

  • Soit favorables à la conservation si elles sont alcalines : carbonates de calcium et de magnésium

  • Soit défavorables si elles sont acides : gypse, sulfate de baryum (baryte), alun.

La qualité de l'eau utilisée pour la fabrication de la pâte à papier peut aussi avoir une influence, notamment à cause de métaux qu'elle peut contenir. Le fer et le cuivre, par exemple, favorisent les altérations et contribuent à les accélérer. Les papiers de fabrication ancienne et artisanale sont davantage sujets à ce type de problèmes que les papiers de fabrication récente, car la qualité des eaux est aujourd'hui rigoureusement surveillée.

La présence d'additifs nuisibles dans les papiers de production industrielle peut aussi accélérer les réactions d'altération. On ne connaît pas encore l'influence de tous ces additifs.

2.1.2.2. Les méthodes de production

Le degré de polymérisation de la cellulose est influencé par les méthodes de production et par les traitements que la cellulose doit subir .

La cellulose de bois doit être libérée des impuretés et des incrustants et subit donc des traitements plus importants et plus agressifs que la cellulose issue de fibres textiles.

C'est pourquoi les papiers à base de cellulose de bois vieillissent plus vite et plus mal que ceux fabriqués avec des fibres textiles.

Parmi les méthodes agressives, on peut signaler particulièrement :

  • Les méthodes de production de pâtes à papier chimiques

  • Les procédés de blanchiment

  • Le raffinage de la pâte

2.1.3. Les facteurs externes

Les facteurs climatiques jouent un rôle déterminant, car ils ont une action directe sur l'altération du papier et influencent tous les autres mécanismes de dégradation.

La lumière et la pollution interviennent également, souvent en combinaison avec les facteurs climatiques.

De nombreux micro-organismes et insectes sont susceptibles de s'attaquer au papier, s'ils rencontrent des conditions favorables à leur développement. L'une des dégradations très connues du papier leur est aujourd'hui attribuée, quoique cela n'ait pas été totalement prouvé : le " foxing " ou " papier piqué ".

Enfin, le papier servant de support d'écriture, la qualité des encres peut avoir également une influence défavorable sur la conservation de ce support.

2.1.3.1. Les conditions climatiques

La température joue un rôle important dans la vitesse des réactions chimiques : plus elle est élevée, plus les réactions sont rapides. La dégradation chimique du papier n'échappe pas à ces règles.

L'humidité relative de l'air joue un rôle décisif dans la plupart des processus de dégradation.

Une humidité relative inférieure à 40% provoque le dessèchement du papier qui perd sa souplesse, devient rigide, fragile, cassant.

Une humidité relative supérieure à 60%-65% cause:

  • une accélération très importante des réactions chimiques d'altération, qui nécessitent la présence de l' eau pour se produire

  • le développement des micro-organismes et des insectes

  • la migration d'éléments nuisibles, issus des réactions chimiques par exemple, toujours plus en profondeur dans le matériau, d'où une extension de la zone altérée

  • la déformation par gonflement, en particulier dans les documents composites surtout si l'humidité augmente rapidement.

2.1.3.2. La lumière

La lumière est une forme d'énergie qui peut déclencher ou accélérer les réactions chimiques de dégradation du papier.

Le papier est très sensible à la lumière dont l'action peut s'exercer soit directement (photolyse), soit en combinaison avec d'autres substances comme, par exemple, la photo-oxydation avec l'oxygène de l'air.

La sensibilité du papier diffère sensiblement selon sa composition :

  • Les papiers contenant de la pâte mécanique de bois, comme le papier journal, sont très sensibles et réagissent de manière très rapide aux rayonnements de longueurs d'onde inférieures à environ 500 nm, à cause d'une sensibilité spécifique de la lignine.

  • Les papiers de fibres textiles ont une sensibilité un peu plus réduite.

L’intensité du rayonnement aussi est déterminante : ainsi, une forte quantité d'un rayonnement peu nuisible de par sa longueur d'onde engendre également des dommages.

L'altération induite par la lumière se manifeste par le jaunissement du papier, signe de la formation de groupes chromophores liés aux réactions d'oxydation et d'hydrolyse. Ce jaunissement est accompagné d'une sensible perte de souplesse et de résistance. Plus la longueur d'onde de la lumière est courte, plus le jaunissement est accentué. Les rayons ultra-violets sont donc particulièrement nocifs.

Papier jauni par l'action de la lumière

Papier jauni par l'action de la lumière. Ce volume a été exposé ouvert à sa page de titre dans une vitrine, d'où la différence de coloration entre cette dernière et les autres pages. Cliché A. Giovannini.

Différence de couleur sur une estampe

On remarque aisément sur cette estampe la différence de couleur entre les parties protégées et celles exposées à la lumière qui a provoqué le jaunissement du papier à pâte de bois. Cliché A. Giovannini.

Action de la lumière sur les papiers et cartons

Action de la lumière sur les papiers et cartons. On remarquera les différences de couleur sur la couverture et sur la tranche du volume, une partie ayant été protégée et l'autre exposée à la lumière d'une fenêtre. Cliché A. Giovannini.

2.1.3.3. La pollution

Tous les polluants sont des réactifs chimiques très puissants qui peuvent provoquer des réactions d'altération ou intervenir, en les accélérant, dans des réactions déjà en cours.

L’ozone et le PAN ont une action oxydante qui aboutit à l’hydrolyse. Les acides qui se forment sont très dangereux pour la stabilité chimique du papier. En effet, la présence d'acide catalyse l'hydrolyse de la cellulose. Le papier perd très rapidement sa souplesse et devient fragile.

Les papiers contenant de la lignine, comme le papier journal, sont particulièrement sensibles, car déjà acides et confrontés à une forte altération endogène.

L'action des polluants acides et l'acidification causée par des facteurs internes au papier causent une répartition différente de l'acidité sur les pages des documents: la mesure du pH montre qu’un registre attaqué par la pollution de l'air est altéré plus fortement dans les marges que dans le centre de la page, alors qu'une altération endogène se développe, en principe, de manière plus uniforme sur toute la feuille.

L'action des polluants

Cliché A. Giovannini.

Les facteurs de détérioration peuvent se combiner : une température élevée, une forte humidité de l'air et une grande quantité de lumière favorisent fortement l'action destructrice des polluants.

2.1.3.4. Le papier piqué

Cette altération est caractérisée par des taches rondes assez étendues ou formant des points, qui se développent sur certains papiers, notamment les gravures du XVIII° au XX° siècle.

L'origine de ce phénomène n’est pas encore totalement élucidé et peut être dû à des facteurs :

  • internes : altération de la cellulose due à la présence d’ions métalliques

  • externes : développement de micro-organismes (moisissures)

ou à la combinaison des deux.

Taches dues à des micro-organismes

Taches dues à des micro-organismes. Cliché A. Giovannini.

2.1.3.5. Les encres métallo-galliques

Les encres ne font pas partie des composants du papier, mais elles en sont solidaires dans la constitution du document.

La plupart des encres utilisées depuis le début du Moyen-Age jusqu'au XIXe siècle et au-delà sont des encres métallo-galliques.

Malgré leur diversité, on peut distinguer trois composants fondamentaux, toujours présents :

  • une solution tannique, obtenue généralement par macération de noix de galle ou de bois très riches en tanins

  • un sel métallique, généralement du sulfate de fer ou de cuivre, appelé anciennement vitriol vert ;

  • un liant, par exemple de la gomme arabique.

Le sel métallique est un facteur d’acidité qui peut, par différentes réactions chimiques, avoir différents effets :

qui peut, par différentes réactions chimiques, avoir différents effets :

  • Apparition de taches rougeâtres sur l’encre, liée à une oxydation du fer

  • Hydrolise de la cellulose, donc désintégration du papier

  • Apparition de cristaux blancs quadrangulaires par formation de gypse.

Certaines encres particulièrement agressives provoquent la destruction complète du papier à l'endroit où se trouve le texte écrit. De plus, l’encre à tendance à migrer et à s’étaler tout autour du texte, transformant les mots en tâches à peine lisibles. Le papier étant détruit, le texte, ou les taches ainsi formées, n’apparaissent plus que sous forme de lacunes, la feuille de papier étant réduite à une sorte de dentelle impossible à manipuler.

Ce type d’altération se transmet aussi aux zones avoisinantes et aux feuilles directement en contact avec les parties atteintes.

Les anglophones lui donnent le nom de " brown decay ".

La gravité des dommages dépend de la qualité du papier, de son épaisseur, de la composition de l'encre et des conditions hygrométriques auxquelles le document a été soumis. En particulier un taux d’hygrométrie élevé et de fréquentes variations de ce taux engendrent rapidement une aggravation. C’est pourquoi ce type de dégradation est fréquent dans les pays tropicaux et équatoriaux, qui, toutefois, n’en ont pas l’exclusivité.

Pour en savoir plus sur ce sujet, voir le site spécialisé créé à l'initiative de l'ECPA (European Commission on Preservation and Access) et de plusieurs institutions de conservation néerlandais : https://web.archive.org/web/20080607140452/http://www.knaw.nl/ecpa/