2. La prévention des catastrophes
Dans tous les cas, les dommages sont fortement amplifiés s'il n'existe aucun plan d'intervention en cas de catastrophe et aucune structure capable de le mettre en œuvre.
En effet, les catastrophes, qu'elles soient naturelles ou provoquées par l'homme, peuvent avoir des conséquences beaucoup moins graves, si l'archiviste et le personnel de son service ne se trouvent pas brusquement pris au dépourvu.
Il est donc essentiel d'adopter, comme pour tous les autres aspects de la conservation, une attitude résolument préventive qui implique plusieurs étapes :
Évaluer les risques
Mettre en place des mesures de prévention
pour éliminer ou réduire les risques potentiels repérés
Préparer le service à l'éventualité d'une catastrophe
Rédiger un plan d'urgence
2.1. Évaluer les risques
L'évaluation des risques consiste à:
identifier les risques internes ou externes pesant sur les locaux et les documents qui y sont conservés
repérer les défauts ou les lacunes dans les opérations de prévention déjà en place
Il est souvent utile, voire indispensable, de travailler en coopération avec les pompiers, tant pour détecter des risques peu évidents de prime abord que pour préparer des interventions éventuelles en cas de sinistre.
Il est notamment essentiel que les pompiers connaissent la configuration des locaux, l'existence ou non d'ascenseurs, la localisation des extincteurs et bouches d'incendie, etc.
Trois types de risques doivent être envisagés.
2.1.1. Les risques liés à l'environnement
Il convient de s'intéresser de près
à toute infrastructure qui puisse être le théâtre d'un accident, d'un départ d'incendie ou qui puisse engendrer une pollution permanente ou occasionnelle : usines, entrepôts de produits dangereux, barrage hydro-électrique, aéroport, chemin de fer, autoroute, rue à grande circulation dans une ville, bâtiment d'habitation mitoyen, etc.
à tout élément naturel pouvant représenter une source d'inondations ou d'infiltrations : zone inondable, marécages, rivière ou ancien lit de rivière, lac, bord de mer
à tout élément naturel pouvant faciliter un départ de feu ou la progression d'un incendie : végétation broussailleuse à proximité, région fortement boisée en milieu chaud et sec, etc.
à tout autre élément géographique et climatique favorable aux catastrophes naturelles : volcans, montagnes et collines pouvant être le théâtre d'avalanches, éboulements et coulées de boue, zone sujette aux cyclones et autres phénomènes climatiques violents, secousses sismiques.
Il est indispensable de tenir compte des antécédents même lointains : en l'absence de modifications importantes (des travaux par exemple), dans une zone à risques, le danger reste potentiel, même s'il ne s'est rien passé depuis plusieurs dizaines d'années.
2.1.2. Les risques liés à la structure des bâtiments
Pour évaluer ce type de risque, il convient de vérifier :
La qualité des matériaux composant le bâtiment
L'étanchéité des murs et toitures
L'état des chéneaux, gouttières et canalisations d'évacuation des eaux
La qualité et l'état des installations électriques
L'existence de portes et murs coupe-feu là où c'est nécessaire
L'existence d'un paratonnerre sur le bâtiment ou à proximité
La localisation des magasins par rapport aux locaux et installations potentiellement dangereux: chaufferie, groupe électrogène, canalisations, cuisines, ateliers et laboratoires, sanitaires, logements de fonction, locaux de stockage de produits inflammables, etc.
L'adaptation de la conception du bâtiment à sa situation géographique: architecture antisismique, absence ou protection de verrières exposées aux vents et pluies violents ou à la grêle, adaptation de la toiture aux précipitations et aux vents, etc.
La protection du bâtiment contre les intrusions humaines et animales.
2.1.3. Les risques liés aux hommes
La plupart de ces risques sont aussi liés à l'environnement et à la configuration des locaux.
On s'attachera notamment à repérer :
La proximité de lieux susceptibles de devenir des cibles stratégiques en cas de guerre: aéroports, certaines activités industrielles, centrales électriques, centrales nucléaires, casernes, bâtiments administratifs abritant des instances dirigeantes, etc.
La proximité de lieux d'habitation où la délinquance est importante
La proximité de bâtiments désaffectés pouvant servir de squats.
A l'intérieur du bâtiment, il est essentiel de vérifier:
La sécurité des circuits de circulation, notamment la fermeture des magasins d'archives aux personnes extérieures au service.
L'isolement des locaux où il est permis de fumer.
Il faut être attentif:
Aux incidents graves qui se sont produits dans l'environnement immédiat au cours des cinq dernières années : alertes à la bombe, attentats, mouvements sociaux, émeutes, actes de vandalisme
A l'évolution de l'environnement : désaffection de bâtiments, installation de nouvelles administrations, changement de population
Enfin, de nombreux services d'archives ayant entièrement ou partiellement informatisé leur gestion et ayant développé des applications informatiques, il est impossible de ne pas dire quelques mots du risque informatique. Une panne grave de disque dur ou de serveur, l'intrusion d'un virus peuvent anéantir des semaines, voire des mois ou des années de travail en quelques secondes et compromettre l'accès aux documents pendant une période assez longue. Il convient donc de vérifier la sécurité des installations et l'efficacité des procédures de sauvegarde et de récupération de données.
2.2. Mettre en place des mesures de prévention
De l'évaluation des risques découlent la mise en œuvre ou le renforcement de mesures préventives.
Lorsque l'on construit un nouveau bâtiment d'archives, il faut évidemment tenir compte des risques liés à l'environnement géographique et humain lors du choix du terrain et de la construction. Nous renvoyons de ce point de vue à la section sur les bâtiments.
En revanche, lorsque le bâtiment existe déjà, il convient de pallier ses défauts pour mieux l'adapter à son environnement. Il peut s'agir
de mesures architecturales
sur le bâtiment et ses installations : détecteurs d'eau au sol, renforcement éventuel de l'étanchéité, murs et portes coupe-feu, détecteurs de fumée, système d'extinction automatique d'incendie.
de mesures environnementales
en accord avec les autorités locales et les propriétaires avoisinants : entretien des abords, suppression de massifs boisés, création de couloirs de sécurité contre l'incendie, drainage de terrains, plantations ou installations de murets sur les collines menacées d'éboulements, etc.
de mesures de sécurité contre les intrusions et actes de vandalisme
amélioration de l'éclairage du bâtiment et de ses alentours, patrouilles de police régulières, alarme anti-intrusion, surveillance du bâtiment par une société de gardiennage, etc.
de mesures fonctionnelles à l'intérieur du bâtiment
modification des circuits de circulation, redistribution des locaux, etc.
de mesures de sécurité à l'intérieur du bâtiment
surveillance des équipes d'entretien des installations techniques et de travaux, inspection des locaux après leur passage, extinction de tous les appareils électriques qu'il n'est pas nécessaire de laisser allumés lors de la fermeture du service, formation du personnel au maniement des extincteurs, exercices d'alerte, etc.
de mesures d'entretien régulier
de toutes les installations électriques et techniques, des chéneaux et gouttières, des espaces verts, etc.
de mesures informatiques : Il est capital que toutes les données importantes (bases de données documentaires, mais aussi certains documents bureautiques, les carnets d'adresses, les formulaires et modèles usuellement utilisés, etc.) fassent l'objet de sauvegardes régulières, quotidiennes ou hebdomadaires selon les cas. Ces sauvegardes devront être conservées en dehors du service. De plus, il faut équiper les installations informatiques:
de logiciels antivirus
de pare-feu
d'onduleurs
de mesures de protection des documents
les mesures de conservation préventive, telles que le conditionnement, le microfilmage et la numérisation constituent aussi des moyens efficaces de réduire les conséquences des catastrophes. Il est beaucoup plus aisé d'évacuer des documents bien conditionnés. Il convient de veiller à ce qu'un exemplaire des reproductions de documents (masters pour les microfilms, copies pour les documents numérisés) soit conservé dans un autre lieu.
Enfin, il est indispensable de se tenir informé de toute alerte par les services météorologiques et sismiques et autres institutions officielles susceptibles de déclencher des plans d'urgence.
2.3. Préparer le service à une éventuelle catastrophe
Tout d'abord, il est essentiel de contracter une assurance pour les fonds et collections : cette précaution permettra de financer des opérations de sauvetage souvent onéreuses telles que la congélation et la lyophilisation de documents inondés.
Il faut aussi sensibiliser le personnel en luttant contre les préjugés ("les catastrophes, les accidents n'arrivent qu'aux autres", "le service est suffisamment sécurisé") et les attitudes fatalistes ("si cela doit arriver, cela arrivera") ou dilatoires ("on agira le temps venu").
Un certain nombre d'actions peuvent être très utilement menées:
Former et entraîner une équipe d’intervention en cas d’urgence
composée de membres du personnel volontaires habitant près du service. Il est notamment très utile de monter des ateliers de simulation de sinistres qui permettent de se familiariser avec les procédures d'intervention, de sauvetage d'urgence et d'évacuation des documents.
Prévoir des fournitures pour le tri des documents, le transport et le nettoyage
et les réunir dans un même lieu (une liste de matériel est disponible sur le site de la Bibliothèque nationale et des Archives nationales du Canada à l'adresse signalée dans l'écran suivant)
Identifier les espaces où l'on pourra trier, enregistrer et empaqueter les documents endommagés.
Trouver des lieux où l'on pourrait éventuellement reloger temporairement les documents et le personnel.
Conserver à l'extérieur du bâtiment, dans un autre service par exemple, un exemplaire du plan d'urgence.
Enfin, il est indispensable de rédiger un plan d'urgence.
2.4. Rédiger un plan d'urgence
Le plan d'urgence est une mesure préventive qui permet de réagir vite et avec efficacité face à une catastrophe quelle qu'elle soit.
Le Centre de conservation du Québec a traduit de l'anglais un canevas pour l'établissement d'un plan d'urgence. Ce modèle est actuellement commercialisé sur son site (lien), notamment sous la forme d'une disquette.
Enfin, sur le site commun de la Bibliothèque nationale et des Archives nationales du Canada, on trouvera des éléments de rédaction de plans d'urgence: modèles de listes de personnes-ressources, de plans, de listes de fournitures à prévoir dans une armoire ou un local spécial en vue d'une situation d'urgence à l'adresse suivante: http://www.collectionscanada.gc.ca/a-notre-sujet/015/012015-200-f.html
Un plan d'urgence doit être rédigé de façon claire et compréhensible par tous. Il doit être connu de tous les agents du service.
Il doit comporter :
les plans des locaux
aussi précis que possibles: pour chaque étage doivent être indiqués
les magasins d'archives où sont signalés les fonds et collections à sauver en priorité
les aires de stockage de produits dangereux, explosifs ou inflammables
les fenêtres, entrées et sorties
les portes coupe-feu à fermeture automatique
les escaliers, y compris les escaliers de secours
les extincteurs à incendie manuels et automatiques
les alarmes
les détecteurs de fumée et d'eau s'il y en a
les canalisations de chauffage
les ascenseurs et leur machinerie
les vannes de fermeture des arrivées d'eau
les disjoncteurs et autres systèmes d'arrêt de l'alimentation électrique
L'utilisation de couleurs, de pastilles, de signes conventionnels doit permettre une lecture rapide et facile de ces plans.
une liste à jour de numéros de téléphone
des responsables du bâtiment à joindre en cas d'urgence
des services d'urgence (police, pompiers autres services de secours, comme en France le SAMU)
des services publics s'occupant de l'eau, de l'électricité et du gaz
de sociétés de transport
des centres de congélations les plus proches
de sociétés de séchage sous vide
de l'assureur
des restaurateurs aptes à intervenir en fonction de leur spécialité
Si l'on a pu constituer une équipe d'agents du service volontaires et spécialement entraînés, il est bon aussi d'ajouter les numéros de téléphone de ceux qui habitent le plus près du bâtiment.
Un organigramme du service
avec les responsabilités de chacun dans l'intervention et la remise en état du service et des fonds et collections
Une liste des fonds et collections à sauver prioritairement
avec leur localisation (reprise sur les plans), leur volume, les supports (papier, parchemin, photographique, audio-visuel, etc.) et la personne responsable pour chaque fonds.
Une liste détaillée des mesures d'urgence à prendre pour chaque type de catastrophe.
Une liste des procédures à mettre en œuvre pour une remise en état durable
procédures d'identification et d'étiquetage, nettoyage et réintégration des documents en fonction de leur état et de la nécessité éventuelle d'une restauration.
Il est important et indispensable que ce plan d'urgence soit révisé et qu'en particulier soient mis à jour :
Les plans, en fonction notamment des entrées et déplacements de documents et de l'évolution interne des locaux
La liste des numéros de téléphone
L'organigramme du service
en fonction des mouvements de personnel.