3.2. Choisir une stratégie
La stratégie retenue par un service d’archives reflètera nécessairement le mandat, les missions, les valeurs, l’environnement opérationnel et social.
Ce choix est essentiel :
parce qu’il permet au service d’archives de définir le cadre intellectuel et les règles qui guideront le processus d’évaluation ;
parce qu’il aura une influence considérable sur les décisions finales ;
parce qu’il permet de voir quelle quantité de documents les services d’archives ont la capacité d’évaluer ;
il est des cas où la stratégie est écrasée par l’énorme quantité de documents dont la plupart ne sont jamais évalués ; il est aussi des cas où les décisions sont prises mais où les capacités ou bien les ressources manquent pour les appliquer.
En conséquence, le choix d’une stratégie demande beaucoup de soin.
Cinq approches de base sont actuellement utilisées dans le monde. Il est évidemment possible de les adapter et de les fusionner, en partie ou en totalité.
3.2.1. L'approche "analytique"
Cette approche implique une enquête minutieuse et une description de l’ensemble des documents produits par un organisme.
La description, ou le recueil des données, inclut des informations :
sur les créateurs de documents [qui ?] ;
sur le contexte de création [pourquoi et dans le cadre de quelle procédure? ] ;
sur les usages des documents ;
sur leur contenu.
Une fois obtenues toutes ces informations, elles sont analysées dans le contexte des besoins directs[1] (ou primaires) [valeur administrative] et indirects[2] (secondaires) [valeur informative et historique] afin de déterminer les besoins administratif, fiscal, légal… et de fixer le délai minimum de conservation d’une part, d’identifier les documents ayant potentiellement une valeur patrimoniale d’autre part. Ces derniers sont soumis ensuite à une évaluation plus approfondie. Généralement l’ordonnancement des données suit l’organigramme de l’organisme concerné.
En théorie et souvent en pratique, les documents de gestion quotidienne sont rapidement traités ; de même, les documents essentiels[3] sont rapidement identifiés et leur sort fixé. Une fois ces décisions prises, on peut se consacrer à l’examen des documents plus difficiles à évaluer.
Pour ou contre ?
Cette stratégie a plusieurs défauts :
tout d’abord, elle requiert un énorme travail étant donné la quantité des documents à évaluer et les continuels changements d’organigrammes et de procédures ;
elle tend à devenir passive, dans la mesure où le travail d’évaluation peut se faire une fois le tableau de conservation dressé par le service producteur ;
elle fait également courir le risque d’ignorer les liens entre institutions et les coresponsabilités pour certaines fonctions ou opérations.
L’avantage de cette stratégie est celui d’une meilleure collecte, parce que faite en interne, des informations.
3.2.2. L'approche fonctionnelle
Une seconde approche est l’approche fonctionnelle.
Plutôt que d’inventorier et d’évaluer immédiatement les documents, un effort est d’abord fait pour identifier fonctions et activités et les examiner sans tenir compte des frontières administratives (c’est-à-dire de l’organigramme). Le résultat final est l’identification des unités fonctionnelles. L’archiviste peut alors identifier et évaluer les documents produits par ces unités.
L’approche fonctionnelle, en théorie, cherche à comprendre les entrées, les transactions et les productions de documents ainsi que les systèmes d’informations ; elle permet de savoir de quelle manière les documents peuvent fournir la preuve (au sens de témoignage) des transactions et activités.
On peut même imaginer que tout ou partie de ce travail pourrait être effectué sans examiner les documents eux-mêmes et donc dans des délais assez brefs.
Les décisions sur ce qui doit être conservé sont prises sur la base des informations sur les fonctions et les processus de gestion des documents à l’appui de ces fonctions.
Le cas échéant, dans la mesure où cette approche permet d’identifier les unités fonctionnelles qui sont au cœur de l’organisation, l’archiviste peut se contenter d’évaluer uniquement les documents produits par ces seules unités.
Pour ou contre ?
Grâce à l’approche fonctionnelle, l’archiviste a une meilleure information sur les documents et les systèmes d’information qui sont, ou pourraient être, partagés entre des agences ou des unités.
Une faiblesse de cette approche est que quelquefois on néglige ou on oublie la valeur indirecte (secondaire) des documents.
Dans de nombreux cas en effet, les documents ont une valeur indirecte (secondaire) d’information qui n’a aucun lien avec la fonction originelle à l’origine de la création de ce document; c’est le cas quand les documents peuvent être utiles à d’autres fonctions dans l’organisation ou à la recherche historique, pour ne citer que ces exemples.
3.2.3. L'approche de stratégie documentaire
La troisième approche est la stratégie documentaire qui se concentre en priorité sur un thème ou un sujet.
Une stratégie documentaire constitue un effort pour placer l’évaluation dans un contexte étendu. Les stratégies documentaires cherchent à identifier et évaluer les rôles remplis par tous les organismes et individus pour une action, à propos d’un objet ou dans une aire géographique prédéfinis (par exemple, environnement, histoire de la physique - USA).
Une stratégie documentaire cherche d’abord à identifier tous les éventuels détenteurs de documents et de les impliquer, avec les utilisateurs potentiels de ces documents, dans le processus d’évaluation.
Pour ou contre ?
Un bénéfice majeur de la stratégie documentaire est d’identifier toutes les parties intéressées et, en théorie, de disposer de toute l’expertise possible avant de prendre une décision. En théorie, la stratégie documentaire est très bénéfique et peut utiliser, en cas de besoin, en tout ou partiellement les méthodes employées dans les approches “ diplomatiques ” et fonctionnelles.
Cependant, dans la pratique, tout est très difficile en raison du nombre de parties prenantes et parce que le processus est minutieux et donc très lent.
3.2.4. L'approche d'estimation des risques
Une quatrième approche est en train d’émerger qui consiste à utiliser l’estimation des risques.
L’estimation des risques est souvent utilisée dans les affaires et dans d’autres disciplines pour prendre des décisions stratégiques.
Pour les archivistes, il peut être utile de répondre à la question de savoir quels sont les risques et les coûts potentiels pour un organismes si nous nous trompons dans l’évaluation des documents produits dans le cadre d’une fonction particulière ou d’une entité au sein d’un organisme.
3.2.5. Une approche selon les normes
Que ce soit selon la norme ISO 15489 (voir plus haut section 1 chap. 2.1.2) ou par celle citée dans le module 4 propre à la GDA, cette approche s’inscrit dans la mise en œuvre de gestion de systèmes, notamment électroniques.
Ces normes fournissent des méthodes pour s’assurer que les documents nécessaires à un organisme soient créés, capturés et gérés, et ce en accord avec l’environnement réglementaire:
un système doit pouvoir exécuter l’ensemble des procédures relatives aux archives/documents, y compris la mise en œuvre des décisions de conservation ou de destruction;
les normes recommandent que les exigences du système soient prises en compte au moment de sa conception;
les évaluations doivent être faites suffisamment tôt pour renseigner le système.
La norme ISO 15 489, citée plus haut, s’applique tout particulièrement dans le cas de la mise en œuvre des systèmes de gestion de documents électroniques. En effet, si les délais de conservation et de destruction ne sont pas indiqués dès la conception du système, il est difficile et coûteux de le réviser par la suite pour y introduire ces données. De plus, en procédant ainsi, il est possible de rendre automatique la mise en œuvre des décisions prises.
Pour cette approche où l’ensemble de la gestion est planifiée, vous devez vous référer aux modules 4 et 5 ainsi qu’au module 7 sur les documents numériques.