Entretien avec Monsieur Marcel CAYA

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10 années 3 mois

N° 19
(15 juin 2019)

 

 

Monsieur Marcel Caya
Monsieur Marcel Caya.

 

Marcel Caya fait partie des membres fondateurs du PIAF. De par sa carrière professionnelle –comme archiviste et comme enseignant- et de par son engagement au Conseil International des Archives (ICA), il a été le témoin des évolutions de l’archivistique ces quarante dernières années.

Marcel Caya quitte cette année le Comité de pilotage du PIAF. Nous avons choisi de lui consacrer ce Cri du PIAF en recueillant ses propos sous la forme d’un entretien.

 

Votre carrière professionnelle.

Caroline Becker (C.B) : Pouvez-vous retracer pour nos lecteurs les étapes de votre carrière ?

Marcel Caya : En 1970, je suis entré en tant qu’archiviste aux Archives publiques du Canada dans la section responsable des Archives du gouvernement fédéral. J’ai ensuite pris la direction du Service d’archives de l’Université de McGill (1977) où j’ai passé 14 ans. C’est à cette période que j’ai commencé à donner quelques cours d’archivistique, d’abord à la Library School de McGill, puis à l’UQAM comme chargé de cours au début des années 1980. En 1994, lorsque l’on m’a proposé un poste d’enseignant à temps plein à l’UQAM, j’ai choisi d’accepter ce nouveau défi ! J’avais rarement enseigné en français, à l’exception de cours d’introduction à l’archivistique à l’UQAM, ni fait de recherche académique à proprement parler. J’y suis resté jusqu’à ma retraite en 2011. Depuis 2011, je continue mes activités en faisant du conseil et de l’évaluation monétaire. Je viens juste, par exemple, de dispenser une formation sur l’évaluation monétaire des archives privées, un sujet dont je m’occupe depuis longtemps maintenant. Et je me suis occupé du PIAF jusqu’à aujourd’hui.

C.B : Qu’est-ce qui vous a conduit à l’archivistique ? et à l’enseignement ?

Marcel Caya : Comme je l’ai expliqué tout à l’heure, je suis passé de la gestion d’archives à l’enseignement par goût du défi et du changement. Ce fut un grand changement ! J’ai beaucoup apprécié le fait de former de nouvelles personnes et d’être par le biais de la recherche, toujours au courant des dernières avancées en matière d’archivistique. J’ai également beaucoup apprécié ce métier d’enseignant en archivistique qui consiste, entre autres tâches, à imaginer tous les problèmes qui peuvent se poser ou subvenir dans un contexte précis et à les résoudre. Dans le métier de gestionnaire d’archives, il s’agit de résoudre uniquement les problèmes auxquels on est confronté. Ce sont donc deux métiers très différents ! Je me suis découvert un potentiel de création de problèmes infini !

De plus, la description d’un poste d’enseignant à l’UQAM comporte trois points : l’enseignement, la recherche et le service au public. Ce dernier point était un encouragement à s’investir dans des associations nombreuses et diverses, ce que j’ai fait.

C.B : C’est ce qui vous a encouragé à vous engager dans les associations et organismes internationaux ?

Marcel Caya : Pas vraiment car j’avais commencé à m’investir dans les activités internationales ayant trait à l’archivistique avant mon entrée à l’UQAM. En 1984, j’ai assisté, à Bonn, à mon premier congrès de l’ICA (Conseil International des Archives). J’y avais été délégué en tant que représentant du Canada par le Bureau canadien des archivistes (BCA, Bureau canadien des archivistes). A cette époque l’ICA cherchait à associer et atteindre des archivistes autres que ceux qui travaillaient dans des institutions nationales. C’est à Bonn que j’ai croisé pour la première fois le chemin de Gérard Ermisse.

C’est à partir de l’annonce de la tenue du Congrès de l’ICA à Montréal en 1992 que mon engagement dans différentes instances de l’ICA est devenu plus important. J’ai assuré la présidence de la Section des Associations Professionnelles d’archivistes (ICA-SPA) pendant quatre ans, j’ai ensuite pris en charge le bulletin de l’ICA. J’ai donc collecté, compulsé et publié un grand nombre de PV de réunions des différentes instances de l’ICA (exécutif, sections, comités) jusque dans les années 1998-2000. Indirectement, cette activité m’a donné une vue d’ensemble sur ce qui se passait dans le monde archivistique ! En 2000, lors de ma première année sabbatique universitaire, j’ai consenti à la demande du nouveau Secrétaire Général de l’ICA, Joan van Albada, d’assumer le poste de Secrétaire général adjoint, tout en demeurant à Montréal et en communiquant par courrier électronique.

C.B : Vous avez occupé divers postes au Conseil International des Archives. Qu’est-ce que cette expérience internationale vous a apporté ?

Marcel Caya : Je dirai que cette expérience internationale a beaucoup enrichi ma connaissance des évolutions de la pratique archivistique, ma compréhension des besoins de la recherche et mon travail universitaire. Je me suis retrouvé à un poste stratégique pour observer l’évolution de la pratique archivistique qui a connu au tournant du XXIème siècle une forte accélération. Le travail d’instauration de normes de description archivistique internationales était déjà très avancé depuis 1992. La propagation de la gestion des documents et le recours à l’électronique ont révolutionné le métier ! Cela a donné plus de poids à la voix et à l’expérience des archivistes hors institutions nationales, jusqu’alors peu présents dans les rangs de l’ICA. Beaucoup de nouvelles sections de l’ICA ont été créées pour répondre à ces changements, fédérant les archivistes responsables de l’enseignement de l'archivistique, des archives d'architecture, des Archives du monde des entreprises, des Archives Municipales, des Archives des Parlements et des Partis politiques, etc. Ces derniers ont également entraîné le développement de la recherche en archivistique dont j’ai également pu mesurer les lacunes et les avancées. Je pense en particulier à toutes les réflexions qui ont été menées autour de la création de normes internationales de description, question à laquelle je m’intéressais depuis longtemps au Canada. La première norme, ISAD(G), est publiée en 1992. Elle est le fruit d’une volonté et d’un travail commun de plusieurs pays (en particulier les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, le Canada). Enfin ces années passées au sein des instances de l’ICA ont été une source précieuse pour mon enseignement ;  elles m’ont permis de me tenir informé au plus près des dernières évolutions et des projets en cours. Pour ce qui est du domaine de l’évaluation par exemple, cela m’a permis de réaliser qu’il existait plusieurs méthodes et de transmettre à mes étudiants cette diversité.

C.B : Qu’est-ce qui fait la spécificité de l’archivistique québécoise ? Qu’est-ce qui explique son dynamisme depuis plusieurs décennies ?

Marcel Caya : L’archivistique québécoise, de par son histoire et son territoire d’implantation géographique, se trouve au carrefour de plusieurs approches : l’approche française, l’approche anglaise et l’approche américaine. Elle n’a pas d’autre choix que de les comprendre et de les intégrer. J’ai par exemple toujours pris soin dans mon enseignement en français à l’UQAM de refléter les pratiques françaises, britanniques et américaines surtout en évaluation et en description. Lorsqu’il a fallu que les administrations canadienne et québécoise règlent leurs problèmes de traitement des archives courantes, ils se sont surtout inspirés de la pratique américaine, mais avec un vocabulaire francisé (avec malheureusement quelques mauvaises traductions). Cette exigence pose un problème complexe, qui n’est pas encore entièrement résolu aujourd’hui, et qui est celui de la traduction des notions archivistiques. Les archivistes publics québécois se sont largement investis dans cette tâche. La série de publications RAMP (Records and Archives Management Programme) produites dès les années 1980 par l’Unesco pour répondre à des problèmes précis a également été un moteur dans l’harmonisation et la traduction des concepts. La participation à l’ICA d’archivistes français, anglais, américains et canadiens a aussi beaucoup aidé dans ce domaine.


 

La genèse du PIAF.

C.B : Qui a eu l’idée de créer le site de formation du PIAF ? Comment et de qui s’est constituée l’équipe fondatrice ?

Marcel Caya : Je ne vais pas revenir sur toute la genèse du PIAF, nous l’avons exposée avec Gérard Ermisse dans un article publié en 2017 dans la Gazette des archives (CAYA (Marcel) et ERMISSE (Gérard), « La genèse du Portail international archivistique francophone », La Gazette des Archives, 247, 2017-3, p.267-273). Le PIAF est né d’un constat : la nécessité de proposer aux archivistes et enseignants d’archivistique francophones des contenus et une formation en français pour s’adapter plus facilement aux évolutions de l’archivistique. Il est né d’un rêve, celui de fonder une vaste communauté de pratiques et d’échanges pour briser l’isolement de collègues, notamment en Afrique et en Asie. Il est le fruit d’une inspiration : l’expérience pédagogique d’enseignement à distance que venait tout juste de lancer l’EBAD à Dakar (Sénégal).

Il est aussi le fruit d’une réaction outrée à la publication, en anglais uniquement, d’une série de textes par l’IRMT (International Records Management Trust). Suite à une évaluation d’une traduction française de quelques textes et contrairement à ce qui avait été prévu, la traduction en français et en espagnol fut abandonnée faute de pertinence des contenus, les systèmes administratifs étant trop différents.

Gérard Ermisse, Jean Le Potier et moi-même avons discuté de la situation et effectué des sondages dans la communauté des archivistes, principalement français. L’idée d’un portail de formation francophone a rencontré un écho très positif. Après une première réunion exploratoire à Québec en mai 2000, Gérard Ermisse a organisé une plus large réunion de consultation d’enseignants et de praticiens de pays francophones : trois enseignants de l’Université de Toulouse Le Mirail, dont Eric Castex et Jacques Mourrier, nous ont fait part de leur expérience dans le domaine. Marie Edith Brejon de Lavergnée a été recrutée pour coordonner le travail des auteurs et la publication en ligne. Elle avait enseigné longtemps au Maroc et maitrisait très bien le langage international. Nous avons également constitué une équipe d’auteurs pour rédiger les contenus pédagogiques des quatorze modules.

Un budget initial nous a été accordé d’abord pour six mois, éventuellement pour cinq ans par l’INTIF (une composante de l’OIF). Plusieurs institutions ont participé à ce financement, notamment la Direction des Archives de France, Bibliothèque et Archives du Canada, Bibliothèques et Archives nationales du Québec, les Archives fédérales suisses. Les subventions étaient administrées par l’Association Internationale des Archivistes Francophones présidée par Moncef Fakh-Fakh (directeur des Archives nationales de Tunisie).

C.B : Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer dans cette aventure du PIAF ?

Marcel Caya : Ce qui m’a donné envie de me lancer dans l’aventure du PIAF c’est que d’une part, le PIAF avait vocation à combler un besoin dans la formation initiale et continue des archivistes, et que d’autre part il représentait un défi et une grande nouveauté ! J’y ai vu le lieu d’un partage des expériences, des obstacles et des solutions rencontrés dans les diverses parties du monde et à des échelles différentes. Il fallait chercher des solutions partout pour enrichir l’archivistique francophone. J’ai été très sensibilisé aux problèmes de formation de nos collègues africains. Ils avaient en particulier un accès très difficile à la littérature spécialisée. Il était important que tous les archivistes, quels que soient leur cheminement, puissent se former aux évolutions en matière de description (normes), d’évaluation, de conservation et de communication.

J’avais envie de nous voir sortir des sentiers battus et surtout d’accroître l’offre de contenus en langue française sur l’Internet.

C.B : Retenir le support internet vous est-il apparu en 2000 comme une évidence ?

Marcel Caya : Le choix du support internet s’est imposé comme une évidence dès le commencement du projet. Notre conviction qu’il fallait un support qui permette des modifications régulières des contenus est née de notre expérience et de nos observations. La pratique archivistique a connu des bouleversements majeurs dans les années 1990. Nous avions par exemple conscience que le manuel de la Pratique archivistique Française publié en 1993 était déjà obsolète sur bien des sujets au début des années 2000. Il fallait que nous puissions modifier et adapter les contenus pédagogiques au gré des évolutions du métier. Il fallait aussi trouver un support qui permette d’alimenter progressivement l’espace « se documenter » qui contenait l’annuaire des institutions francophones, le glossaire et les actualités. Internet autorisait cette souplesse et les bailleurs de fonds nous ont suivi sans remettre en question ce choix.


Le PIAF aujourd'hui...

C.B : Le PIAF défend une approche francophone de l’archivistique. Qu’est-ce qu’on entend par là ?

Marcel Caya : Contrairement à ce que l’on fait souvent entre francophones, on n’a pas commencé par définir cette notion. En optant pour un portail en langue française exclusivement, il ne s’est jamais agi dans notre esprit de militer pour la défense de la pratique archivistique francophone mais plutôt de palier à un déficit. Comme je l’ai souligné plus haut, les publications scientifiques à destination de la communauté internationale se faisaient principalement en anglais, coupant ainsi de ces publications une vaste partie des archivistes qui ne parlaient pas ou pas assez bien cette langue. Il était donc urgent, dans notre esprit, de produire des cours à destination des pays où la formation archivistique n’existe pas ou à destination des collègues soucieux de parfaire leurs connaissances. Le PIAF a dès son origine été conçu comme un espace de formation initiale et continue. Il y a bien sûr, d’une langue à l’autre, des divergences de pratique, divergences qu’illustre très bien par exemple la définition du mot « archives » qui n’est pas exactement la même d’une pratique à l’autre. Mais, j’insiste, il ne s’agissait pas de militer en faveur d’une pratique plutôt qu’une autre. La pratique francophone ne fait d’ailleurs pas exclusion des autres pratiques (une pratique en langue espagnole par exemple). Nous avons vu dans ce choix de langue la possibilité d’offrir à la vaste communauté francophone un outil d’échanges et de communication. Les francophones ont toujours été très actifs au Conseil International des Archives, ils ont beaucoup à recevoir mais aussi beaucoup à transmettre.

C.B : Le PIAF existe depuis 15 ans, quels objectifs a-t-il rempli à vos yeux ?

Marcel Caya : Il est difficile de répondre avec précision à cette question ! L’objectif premier du PIAF qui a été atteint est sa persistance tout au long de ces quinze années. Beaucoup de collègues pensaient que, passées les premières subventions recueillies pour la réalisation du projet, la capacité financière viendrait à se tarir… La confiance et le soutien des bailleurs de fonds n’ont jamais faibli tout au long de ces quinze années. Et le Portail a ainsi pu se déployer au point que d’autres communautés linguistiques essayent aujourd’hui de répliquer le modèle dans leur propre langue.

Le second objectif du PIAF qui a été atteint c’est son accessibilité par une vaste communauté dispersée aux quatre coins du monde. L’usage qui en est fait montre qu’il est non seulement utilisé dans les pays dépourvus de formations en archivistique, mais aussi dans les écoles d’archivistique. Enfin, nous souhaitions pouvoir mettre au service des étudiants et des professionnels une somme des connaissances toujours actuelles, à une ère où les publications papier se font de plus en plus rares et chères. Cet objectif est également atteint. Le PIAF est probablement un des outils les plus actuels dans le champ de l’archivistique et il vient combler le recul du volume de publications papier.

C.B : Qu’est-ce qui explique à votre avis le succès et la longévité du PIAF ?

Marcel Caya : Plusieurs raisons viennent expliquer cette relative longévité. Tout d’abord la fidélité des bailleurs de fonds et leurs contributions renouvelées à l’AIAF, l’argent est le nerf de la guerre ! Elle s’explique aussi par la qualité, l’engagement et la volonté de l’équipe qui le gère quotidiennement (le Comité de pilotage). Marie Edith Brejon de Lavergnée a insufflé à l’équipe une ténacité et une rigueur qui ont perduré au-delà de son départ en 2010. Les membres du comité de pilotage du PIAF sont tous très en contact avec leurs collègues dans le monde et il faut qu’ils le restent ! L’équipe est d’ailleurs beaucoup plus internationale aujourd’hui qu’elle ne l’était à ses débuts, même s’il faut encore renforcer le côté africain et asiatique ! Le recrutement d'une webmestre il y a douze ans a aussi contribué à la pérennité du Portail. Le travail technique et numérique d’Eric Castex et d’Eric Ferrante, qui œuvrent depuis quinze ans pour faire du PIAF un outil rapide, dynamique et adapté, a également été déterminant.

Tout ceci a concouru à maintenir la qualité et la fiabilité des contenus du Portail qui ne comporte pas que des images mais aussi beaucoup d’informations ! Nous nous sommes toujours attachés à faire intervenir des spécialistes reconnus des nombreux thèmes abordés dans le PIAF.

Le PIAF est maintenant mieux connu, nombreux sont ceux qui en connaissent l’existence et l’utilisent.


L'avenir du PIAF

C.B : Quel avenir voyez-vous pour le PIAF ? Quels sont les nouveaux objectifs à atteindre ?

Marcel Caya : Ce qui est primordial c’est de continuer à mettre à jour les modules de cours et de trouver les personnes les plus aptes à le faire. Le PIAF doit maintenir sa plateforme d’enseignement et renforcer son assise communautaire afin de devenir un lieu d’échange incontournable entre francophones. Il faut qu’il soit le lieu de discussions sur les enjeux importants du métier, de publications de rapports émanant des institutions, de résultats de recherche. Le sujet de la conservation est au cœur de l’archivistique, il appelle des discussions notamment en français.

Il y aura peut-être beaucoup de nouvelles idées d’utilisation grâce, par exemple, travail de diffusion sur le patrimoine documentaire que fait David Rajotte et qu’il publie tous les jeudi soir. Mais beaucoup d’autres bonnes idées restent à venir et tout reste toujours à améliorer !

 


Nous remercions infiniment Monsieur Marcel Caya du temps qu'il nous a accordé pour cet entretien et qu'il a accordé au PIAF durant vingt ans.

Caroline Becker, webmestre et directrice des opérations du PIAF.