Les archives burundaises en danger : comment sortir de cette catastrophe ?

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10 années 3 mois

Les Archives Burundaises en danger : Comment sortir de cette catastrophe ? Bref historique des archives burundaises : Dans un pays comme le Burundi où l'oralité a longtemps primé sur l'écriture, parler des archives revient nécessairement à se poser d'abord la question de savoir à partir de quand elles existent. Au Burundi, les archives ne peuvent se concevoir qu'à partir du moment où le pays entre en contact avec les peuples d'écriture. Or, ce contact ne date que de la fin du 19ème siècle quand les premiers explorateurs suivis des missionnaires se mirent à écrire sur le pays des mille collines. Ils dressèrent des journaux de route et confectionnèrent des rapports des évènements les plus saillants ou les plus anecdotiques survenus dans le secteur de leur influence. En sont l'exemple frappant les diaires des missions. Plus tard, les administrations coloniales, allemandes d'abord, belges ensuite s'organisèrent et la production des documents d'archives s'intensifia. Les activités coloniales ont généré deux types de documents à savoir : les archives de souveraineté et les archives de gestion. Les archives de souveraineté. Elles ont été identifiées par Jacques STAES dans les fonds des institutions métropolitaines qui s'occupaient des colonies. Ces archives n'ont pas été conservées au Burundi. Nous les trouvons actuellement au Bundesarchiv-Berlin où elles ont été transférées de Potsdam, aux archives générales de Belgique et au Musée Royal de l'Afrique centrale de Tervuren. Ces archives font partie intégrante des fonds des institutions qui les ont constituées. Toutefois, malgré leur appartenance aux institutions métropolitaines, rien ne nous empêche d'en avoir au moins les copies, car ces archives sont une propriété commune à la Belgique et au Burundi. En cela, il suffirait de nous référer à la résolution du Parlement européen sur le droit des peuples à être informés de leur histoire et à obtenir la réstitution de leurs archives nationales (le 24 Janvier 1991) pour mener des négociations appropriées. Les archives de gestion. Celles-ci ont été produites par les organismes, institutions et services chargés de gérer sur place le Burundi pendant la période coloniale, de mandat et de tutelle. Elles étaient toutes, initialement conservées au Burundi par les services producteurs. Après la victoire des Belges sur les Allemands à la fin de la première guerre mondiale, les archives allemandes furent transférées en Belgique. Une partie des archives belges de gestion fut également transférée en Belgique à la veille de l'indépendance du Burundi. Là aussi, il importe de mener des négociations tant bilatérales que multilatérales afin d'actualiser les accords de réstitution au moins des copies de ces archives. Une autre partie des archives de gestion fut abandonnée sur place, à la merci des vicissitudes de tout genre. Des fonds d'archives furent éparpillés, mêlées ou détruites. Des dossiers entiers se virent amputés ou volatilisés. Des déprédateurs de tout acabit les assaillirent dans des réduits obscurs où les nouveaux maîtres du pays les avaient confiné sans égard. Ainsi, à son indépendance, le Burundi se trouvait en possession d'archives mal conservées et difficiles à exploiter. Les documents sur le Burundi étaient éparpillés tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. Dans les deux cas, l'administration burundaise ainsi que les jeunes intellectuels burundais avaient de la peine à s'y référer. Le plan de classement auquel se référait le colonisateur fut jeté dans les oubliettes de l'histoire. Il fallait tout inventer ou se déplacer vers la Métropole afin d'être informé sur le passé de notre pays. Après l'indépendance, la production de documents n'a pas cessé. Des quantités importantes de documents se sont, jour après jour entassés dans les différentes administrations tant publiques que privées. Personne ne se souciait de ces documents d'une si grande importance. Les querelles intestines viennent aggraver la situation déjà catastrophique. Beaucoup de documents d'archives furent détruits, brûlés, d'autres emportés par des déprédateurs de tout genre au vu et au su de ceux qui devraient les protéger. C'est après le passage de Monsieur Jacques STAES en 1977 que fut créé, au Ministère de jeunesse et de la culture d'alors, un Département chargé des archives et de la documentation dont l'un des services était celui des archives nationales. Mais ce service n'a fonctionné effectivement qu'en 1978, époque où fut voté son premier budget de fonctionnement et d'équipement. Mais il fallut attendre le 14 Mars 1979 pour que soit publié le décret portant création du Dépôt légal des archives de la République du Burundi. Depuis sa création, le service des archives nationales et de la documentation a connu des fortunes diverses au gré de la volonté politique changeante. Au cours de tous ces changements, les moyens accordés à ce Département ont évolué en dents de scie dans la gamme la moins élevée possible. Malgré les maigres moyens accordés à ce secteur et grâce à l'appui de l'UNESCO, le service des archives nationales a pu transférer et rapatrier pas mal d'archives coloniales mais malheureusement, ce projet n'a aboutit qu'au microfilmage de quelques documents conservés à Bruxelles et à Rome, à la Maison Générale des Pères Blancs. D'autres partenaires tels que l'Agence intergouvernementale de la Francophonie par le biais des programmes BIEF et INTIF ont financé plusieurs réalisations visant la promotion des archives. Le Gouvernement allemand, qui par le biais du Bundesarchiv a fourni l'occasion de spécialisation en archivistique documentaire et a accordé un Lecteur Reproducteur de microfilms (LRM) qui, malheureusement, n'a fonctionné que pendant un laps de temps et des copies d'archives allemandes en sa possession. Il convient ici de signaler la contribution du Conseil International des Archives qui a fourni la documentation nécessaire à tous les niveaux de l'archivistique documentaire. Défis auxquels sont actuellement confrontées les archives burundaises - Une législation lacunaire à plusieurs points de vue. La gestion archivistique reste un exercice intellectualiste dont peu de responsables se soucient véritablement. - Les Burundais n'ont pas encore compris l'importance des archives et leur caractère inaliénable. Certaines personnes s'en accaparent impunément, tandis que d'autres les vendent au grand jour au marché pour des buts peu conformes à l'usage normal de celles-ci (Emballages d'articles vendus au marché). Malheureusement, personne ne se rend compte du tort que subit le patrimoine archivistique national et plusieurs d'entre nous oublient que ce patrimoine est unique et non renouvelable. Ceux qui en ont la conscience assistent impuissants à ce désastre. - Au Burundi, les gestionnaires d'archives et les archivistes formés se comptent sur les doigts d'une seule main. Et la seule institution qui est censée donner les notions d'archivage de documents n'est pas à la hauteur : deux ans seulement d'études universitaires en Bibliothéconomie. Faut-il créer une école d'archivistes ? Nous pensons que cela est souhaitable et nécessaire si nous voulons gérer efficacement les archives nationales conformément aux normes de l'art et à tous les niveaux de l'administration. - La conservation des fonds d'archives se heurte à un manque criant de bâtiments appropriés. Les archives nationales ne sont dotées que d'un dépôt central aménagé dans la cave du Building administratif des Finances, dépôt déjà saturé car trop étroit, non aéré, poussiéreux, sans climatisation, non éclairé et où l'humidité peut d'un moment à l'autre endommager ces tas de documents uniques sans pour autant les retrouver encore une fois. Ailleurs, les services des différentes administrations centrales ne disposent que de petits réduits actuellement encombrés de documents entassés souvent à même le sol. Les communes et les provinces sont également confrontées à l'exiguïté de leurs bureaux. Les documents qui ne trouvent pas de place dans ces petits réduits sont souvent exposés à toutes les intempéries ou à la déprédation des passants. Partant tous ces problèmes qui hantent la documentation archivistique dans notre pays, si aucune action de sauvegarde n'est entreprise dans l'immédiat, le patrimoine archivistique burundais disparaîtra au détriment de la postérité. Que faire pour faire face à ces défis ? La part du Gouvernement - La mise en place des lois protégeant le patrimoine archivistique et documentaire en général devrait faire l'objet d'une priorité parmi tant d'autres. - Le Gouvernement devrait implanter des écoles de formation en archivistique ou tout au moins introduire à l'Université du Burundi un Département d'archives pour former des archivistes dignes de ce nom. Mais la formation seule ne suffirait pas, il faudrait également repenser le statut d'archivistes et des avantages y relatifs pour stimuler et encourager les gens à embrasser la carrière. Ce qui n'existe pas actuellement. - Le Gouvernement devrait ériger des bâtiments adéquats pour abriter les archives burundaises partout il s'avère nécessaire (Dépôts ministériels et provinciaux de pré archivage). - Le Gouvernement devrait allouer un budget assez consistant aux services d'archives afin que ceux-ci puissent jouir d'une certaine stabilité et autonomie financière. - Le Gouvernement devrait soutenir les initiatives locales et coordonner les différentes activités des associations professionnelles. La part des associations professionnelles : ABADBU - Sensibiliser les décideurs à tous les niveaux et tous les intellectuels burundais sur la situation quelque peu lamentable de nos archives. Cette sensibilisation se fait de multiples façons : tenue des émissions radiodiffusées et télévisées, conférences débats, séminaires de sensibilisation, confection des dépliants relatant les objectifs et les missions de l'Association des Bibliothécaires, Archivistes et Documentalistes du Burundi, publication des articles dans les journaux, rencontres de hauts responsables du pays, etc. - Renforcement des capacités de nos membres et de tous les autres responsables des services d'archives des différentes administrations tant publiques que privées par des formations en technique de gestion des archives et de tous les autres documents. - Initier des actions d'identification, de traitement et de sauvegarde des documents d'archives afin d'aider les différentes administrations à retrouver facilement l'information désirée. - Plaider en faveur de la législation sur les archives et les archivistes et l'implantation des services bien organisés d'archives dans toutes les administrations. - Multiplier des activités de promotion des archives burundaises. Le rôle des partenaires tant bilatéraux que multilatéraux - La part des partenaires tant nationaux qu'internationaux est incontournable. En effet, les associations professionnelles n'ayant pas de ressources matérielles et financières pour venir à bout de leurs objectifs, tendent leurs mains à vous chers collègues et partenaires. Sans votre soutien multiforme, notre volonté de bien faire pourrait se heurter à l'échec. Aussi, les archivistes ne pouvant travailler en vase clos, ont besoin d'échanger avec des collègues de divers horizons pour renforcer leurs capacités. Conclusion Pour terminer, nous sommes du même avis que KAROLY KESCKEMETI quand il écrit « Ce n'est pas par la création des services de pré archivage et d'archives nationales que la faim, le chômage et l'analphabétisme seront vaincus, mais les archivistes ont leur rôle à jouer l'action pour le développement et le nier relève de l'ignorance ». Les archivistes doivent compter sur des milliers de personnes qui comprennent et nous souhaitons leur soutien pour que les archives puissent être organisées afin qu'elles servent pour nous et pour les générations futures. Nos archives sont le patrimoine culturel, le miroir du passé, la mémoire collective, un laboratoire de recherche historique, administratif et scientifique. L'administration y tire son compte pour établir ses preuves des droits, avoir des facilités dans la prise de décisions et dans les études rétrospectives. Chers Collègues, soyez les meilleurs défenseurs de la profession partout où vous êtes. Nous savons que vous êtes confrontés à de nombreux handicaps comme nous : incompréhension du public, manque de moyens matériels et financiers, de personnel, etc ; mais ne baissez pas les bras. Nous vous invitons plutôt à redoubler d'efforts pour faire des archives une question de tout le monde et non un débat entre professionnels uniquement. L'avenir attend beaucoup de nous et nous jugera de nos actes.

Je vous remercie.

Jean Paul NDAYISABA Président et Représentant Légal ABADBU-Association des Bibliothécaires, Archivistes et Documentalistes du Burundi BP 465 Bujumbura-Burundi
Siège social provisoire : Quartier Industriel I Avenue du Poisson N°15 Tél. : +257 79 98 78 44 (GSM) +257 22 25 42 89 (Bureau) Email : ndayijp2004@yahoo.fr