Un papier de très grande qualité : le hanji coréen
Pour réparer les documents endommagés, les spécialistes en restauration utilisent le plus souvent le kozo, le papier traditionnel japonais qui fait référence depuis plus de trente ans. Il existe pourtant un autre papier de grande qualité, le hanji coréen, issu d’une tradition millénaire, et qui gagne à être connu, estime Laurent Martin, conservateur en chef aux Archives nationales de France. Il est l’un des experts qui a participé au premier colloque international destiné à promouvoir le hanji, le 19 décembre 2014 à Séoul. Un événement organisé par la Fondation coréenne pour l’artisanat et le design (Korea Craft & Design Foundation, KCDF). Entretien.
RFI : Tout d’abord, rappelez-nous la particularité des Archives nationales de France.
Laurent Martin : la particularité des Archives est d’une part de conserver toutes les archives des organes centraux de l’Etat, mais aussi d’être le garant de la bonne conservation pour la communicabilité des documents afin que n’importe quel citoyen puisse avoir accès à ces documents. Les plus anciens datent du VIIe siècle, ce sont des papyrus mérovingiens. Et les Archives nationales collectent régulièrement, tous les mois, voire toutes les semaines, des documents au fur et à mesure de leur production dans les différents ministères.
Avec mes collègues de l’atelier, nous intervenons pour la restauration des documents qui ont été endommagés par leurs histoires, par leurs manipulations, et tous les agents extérieurs qui peuvent détériorer les documents : les insectes, les moisissures, les mauvaises conditions de conservation comme la température – un aspect très important – et les inondations.
Le monde de la restauration et de la conservation des œuvres papiers en France utilise beaucoup le papier japonais, le kozo. Pourquoi ?
Nous utilisons énormément le papier japonais, car il a une caractéristique originale par rapport au papier européen. De par son mode de fabrication, le papier japonais conserve les fibres très longues, ce qui lui assure une vraie souplesse et aussi une grande solidité par rapport aux papiers que l’on peut fabriquer en Occident. Et surtout, le gros avantage est que les Japonais peuvent fabriquer des papiers pouvant aller jusqu’à 3 ou 5 grammes au mètre carré, qui sont littéralement des voiles presque invisibles que l’on peut coller sur une page sur laquelle on peut continuer à lire à travers. Ce qui, nous, nous intéresse, puisque pour renforcer un papier qui a été moisi ou qui a subi une inondation, un des seuls moyens de le renforcer est de coller un autre papier dessus. Du coup, la transparence de ce papier japonais correspond vraiment à nos besoins.
La France ne fabrique-t-elle pas des papiers pouvant servir à la restauration et la conservation du patrimoine ?
Les papiers fabriqués en France essaient de se rapprocher le plus possible des papiers d’origine. Il y a des papetiers, très soucieux des techniques artisanales, qui reproduisent les vieux papiers chiffons tels qu’on les produisait aux XVIIIe, XVIe et XVe siècle. Nous sommes amenés à utiliser ces papiers pour remplacer des lacunes. On parle alors de « technique de réincrustation », de « comblement de lacunes ». Ces papiers sont réservés aux documents les plus précieux pour lesquels on ne veut absolument pas détruire l’esthétique, même si l’esthétique est une notion très relative en restauration. On préfère donc utiliser bien souvent, pour des restaurations courantes, les papiers japonais qui, même si esthétiquement ils n’ont pas le même aspect, ont une facilité d’utilisation bien meilleure, c’est pour cela qu’ils sont plus largement répandus.
N’est-ce pas aussi grâce à la qualité de leurs fibres que les papiers japonais sont plus répandus ?
Techniquement, en Occident, on raffine le papier, on raffine la pâte, c’est-à-dire qu’on on vient sectionner les fibres végétales que l’on extrait des tissus puisque l’on parle de papiers chiffons. Alors qu’en Asie, ils arrivent à extraire les fibres végétales directement du végétal, en l’occurrence le mûrier du Japon, et elles sont conservées de manière intacte, ce qui confère à ces papiers une souplesse et une solidité bien meilleures que les papiers fabriqués chez nous.
Avez-vous recours aussi au hanji, le papier coréen ?
On entend parler de plus en plus du papier coréen depuis quelque temps, mais cela fait plus de trente ans que le papier japonais s’est très bien installé dans le monde de la restauration. On connaît en fait très peu le papier coréen. C’est la raison de ma présence ici à Séoul où je suis venu participer au colloque international sur le hanji. Il a des caractéristiques physiques et mécaniques différents des papiers japonais. Il nous reste encore à trouver l’application qui pourra remplacer le papier japonais, mais pour l’instant on en n’est qu’au stade de la découverte. (Lire aussi notre article : La fabuleuse histoire du hanji, le papier traditionnel coréen)
Et qu’en est-il du wenzhou, le papier chinois ?
Globalement, il a mauvaise presse, sans doute par méconnaissance. Les Chinois sont certainement capables de fabriquer du bon papier. Mais au niveau économique, le circuit d’approvisionnement vient du Japon essentiellement. On connaît les producteurs, ce sont des papiers que l’on pratique depuis longtemps. S’il fallait tout d’un coup s’adresser à la Chine pour trouver le papier qui nous intéresse, cela prendrait beaucoup de temps, et on lutte déjà contre le temps dans la conservation. Si un marchand arrive un jour avec des papiers chinois de qualité, alors pourquoi pas. Après, c’est un facteur économique qui changera la donne.
Quoi qu’il en soit, je pense que les Coréens ont raison de « se réveiller » et de montrer la qualité de leur papier. De ce que j’ai pu voir, il est très bien en termes de conservation, de longévité, d’acidité, de résistance dans le temps. Maintenant il faudra vraiment lui trouver une application qui fera qu’il va supplanter ou suppléer le papier japonais en restauration.
POUR ALLER PLUS LOIN :
- La fabuleuse histoire du hanji, le papier traditionnel coréen
- «La qualité du hanji a été reconnue comme la meilleure au monde»
- Corée: le maire de Jeonju veut faire de sa ville la capitale du hanji
- Fondation coréenne pour l’artisanat et le design (Korea Craft & Desigh Foundation, KCDF)
Source : RfI