Introduction

La recherche en archivistique

Si les débats sur le caractère scientifique ou non de l’archivistique sont nombreux et ont même pu parfois être vifs [1], un double constat peut être fait quant à la recherche en archivistique elle-même : celui d’une récente et encore fragile affirmation institutionnelle, paradoxalement accompagnée  d’une multiplicité de références et d’évocations, aux limites de l’incantatoire, signe sans doute de la perception d’un enjeu stratégique. L’expression « recherche en archivistique » demeure encore peu ou mal connue, renvoyant à un contour sémantique qui mérite d’être précisé. Ni épistémologie de la trace, ni réalisations professionnelles, parfois rattachée aux sciences de l’information, la recherche en archivistique interroge certes l’objet « archives », dans toute sa polysémie, en incluant les institutions, les pratiques, les fonctions qui s’y rattache, ainsi que leur place et celle de ceux qui les gèrent dans la société, mais dans un objectif particulier : la production de connaissances nouvelles résultant d’une démarche scientifiquement validée, mais dégagée de tout contrôle normatif ou réglementaire. 

Les champs de recherche

En 1998, Carol Couture et Daniel Ducharme, dans un article fondateur fondé sur une enquête internationale [2], définissent l’existence de neuf champs de recherche  : objets et finalités de l’archivistique ; archives et société ; histoire des archives et de l’archivistique ; fonctions archivistiques ; gestion des programmes et des services d’archives ; technologies, supports et type d’archives, milieux d’archives ; problèmes particuliers relatifs aux archives qui regroupe les questions éthiques et celles en rapport avec l’accès à l’information et la protection de la vie privée. Anne Gilliland et Sue McKemmish n’identifient pas moins de 28 champs de recherche en 2004 [3]. L’Archival Education and Research Institute en recense 36 au tournant des années 2010 [4]. Cette forte croissance numérique témoigne tout à la fois d’un réel foisonnement, d’une tendance à une hyper spécialisation, de l’insertion de problématiques nouvelles liés aux évolutions des contextes de production mais aussi à de l’appropriation par l’archivistique de problématiques émergentes (post-colonial studies, subaltern studies par exemple).   
Dans cette délimitation fluctuante des champs de recherche, remarquons le caractère consensuel et fédérateur de l’histoire de la discipline et de ses concepts [5]. Si les différents auteurs élargissent plus ou moins le périmètre des possibles, trois grandes directions se dégagent néanmoins : les uns mettent l’accent sur les fonctions, les autres sur les technologies, les troisièmes sur le rôle social des archives et des archivistes. On notera aussi l’absence d’adéquation systématique entre recherches en archivistique et techniques archivistiques indispensables à l’exercice du métier, les premières pouvant bien évidemment influer sur les secondes. 

Recherche et savoirs non scientifiques

Dans un ouvrage devenu classique, le père de la sociologie des sciences, Robert Merton délimite l’ethos du chercheur par trois axes qui lui confèrent son autonomie : désintéressement, scepticisme et étude critique des savoirs non scientifiques. Les savoirs non scientifiques sont les savoirs empiriques mais aussi tous principes ou procédés qui se présentent comme un savoir (par exemple les textes réglementaires). Ainsi chercheurs et chercheuses en archivistique doivent d’abord adopter une posture particulière, celle du doute épistémologique. En cela, la recherche en archivistique est profondément différente d’une réalisation professionnelle quelle qu’elle soit, instrument de recherche, référentiel d’activité, système de gestion de documents d’activité ou autre. Cela n’interdit pas bien évidemment pas une recherche appliquée ou une recherche-action, mais celles-ci, comme les recherches plus fondamentales, se dérouleront dans le cadre d’un cheminement bien spécifique : à partir d’une observation et d’une revue de la littérature, il s’agira de trouver puis de formuler une problématique et des hypothèses pour cerner et analyser un phénomène en le documentant de manière réfléchie, structurée et valide, avec une méthodologie réaliste et pertinente. 

Méthodologie et interdiciplinarité

Bruno Delmas propose de distinguer trois sphères : une archivistique descriptive, une archivistique fonctionnelle ou archivéconomie, une archivistique fondamentale [6]. Patrice Marcilloux et Bénédicte Grailles revendiquent quant à eux l’archivistique comme interdiscipline et se reconnaissent dans une archivistique sociale qui invite à analyser les mécanismes de co-construction sociale des archives et se structure en trois axes : institutions archivistiques ; analyse des pratiques et des actes professionnels ; approche renouvelée des usages des archives [7]. On peut également opposer une approche de type « discipline archivistique » (Archival Science) à une orientation de type « études sur les archives » (Archival Studies), c’est-à-dire se focaliser sur l’objet plutôt que sur une approche disciplinaire.   
La recherche archivistique est susceptible de convoquer tous types de méthodes de recherche empruntées à au large éventail des disciplines de sciences humaines et sociales :  anthropologie, sociologie, sciences politiques, évidemment histoire [8] mais aussi technologies de l’information ou psychologie. La chercheuse ou le chercheur développera des méthodes d’objectivation et d’analyse :  analyse du discours, méthodes sérielles ou quantitatives, prosopographie, biographie, techniques d’enquête, observations, approches comparatives et/ou systémiques etc. Il pourra également réinvestir des méthodologies du métier d’archiviste, avec néanmoins une salutaire distance critique [9].   
    
La recherche de manière générale n’est pas une activité solitaire. Elle s’insère dans des équipes ou des laboratoires de recherche. Elle s’inscrit dans des courants, des programmes et des projets collectifs. Elle a aussi ses rendez-vous réguliers : symposiums du Gira (Groupe interdisciplinaire de recherche en archivistique, Canada), séminaires et journées de l’équipe Alma (Archives, livres, manuscrits et autres supports de l’information, Université d’Angers, France), Journées des Archives de l’université catholique de Louvain (Belgique). Chercheuses et chercheurs en archivistique sont souvent aussi des archivistes, donc des acteurs et actrices de leur objet d’étude, ce qui leur confère une position parfois inconfortable et nécessite d’autant plus d’affirmer des choix méthodologiques et épistémologiques forts.

[1] Hottin (Christian), « L’archivistique est-elle une science ? Réaction aux journées d’études organisées par l’École nationale des Chartes et l’Association des archivistes français à la Sorbonne les 30 et 31 janvier 2003 », no 16, 2003, p. 99. 
[2] Couture (Carol) et Ducharme (Daniel), « La recherche en archivistique : un état de la question », Archives, vol. 30, 1998, p. 11‑38. 
[3] Gilliland (Anne) et McKemmish (Sue), « Introduction », Archival Science, vol. 4, n° 3, 2004, p. 143‑147. 
[4] Tableau récapitulatif dans Gilliland (Anne), McKemmish (Sue) et Lau (Andrew J.), Research in the Archival Multiverse, Clayton, Victoria, Australia, 2016, p. 23-24 [en ligne] disponible sur http://www.oapen.org/record/628143. 
[5] Gagnon-Arguin (Louise), « La recherche en archivistique », Groupe interdisciplinaire de recherche en archivistique (GIRA). La place de l’archivistique dans la gestion de l’information: perspectives de recherche, Symposium en archivistique, Montréal, 1990, p. 259‑274 ; Gracy(David B.), « Columbus revisited: the status of archival research around the world in 1992 », Archivum, no 39, 1994, p. 520‑525 ; Pederson(Ann), « Development of research programs », Archivum, no 39, 1994, p. 530‑532 ; Craig (Barbara), « Serving the truth: the importance of fostering archives research in education programmes, including a modest proposal for partnership with the workplace », Archivaria, no 42, 1996, p. 105‑117 ; Gutiérrez Muñoz (César), « The state of research in archival science », Archivum, no 39, 1994, p. 530‑532. 
[6] Delmas (Bruno), « Manifeste pour une diplomatique contemporaine. Des documents institutionnels à l’information organisée », La Gazette des archives, no 172, 1996, p. 49‑70. 
[7] Marcilloux (Patrice), « L’archivistique à l’université : quel régime disciplinaire ? », La Gazette des archives, Gérard Naud, un archiviste de notre temps, no 226, 2012, p. 297‑311 ; Marcilloux (Patrice), « Pour une histoire des pratiques professionnelles des archivistes », Culture et recherche, Archives et enjeux de société, no 129, 2013-2014, p. 50 ; Grailles (Bénédicte), « Au-delà de l’histoire : les usages des archives dans la société contemporaine », Culture et recherche, Archives et enjeux de société, no 129, 2013-2014, p. 61. 
[8] Gilliland (Anne) et Mckemmish (Sue), « Building an Infrastructure for Archival Research », Archival Science, vol. 4, no 3, 2004, p. 149‑197. 
[9] Iacovino (Livia), « Multi-Method Interdisciplinary Research In Archival Science: The Case of Recordkeeping, Ethics And Law », Archival Science, vol. 4, no 3, 2004, p. 267‑286.