LE RICHE PATRIMOINE ARCHIVISTIQUE DE LA RÉPUBLIQUE DE DJIBOUTI

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Mémoires de notre passé

Contrairement aux idées reçues, la République de Djibouti renferme un riche patrimoine archivistique sur son sol national. Il importe donc de les conserver. L’enjeu mobilise le directeur du CRUD, Dr Adawa Ali Ganta, et le président de l’Université Dr Abdillahi Omar Bouh qui partagent une conscience aigue de l’importance des archives existantes de la République de Djibouti.

Lhistoire se fait à partir de documents, soumis à la critique. La collecte de sources (archives, journaux imprimées, entretiens, sources sonores, images fixes ou animées, fouilles archéologiques, etc.) et le rapport au temps passé caractérisent donc le métier de l’historien.

Ces nécessités induisent de dépouiller toutes les traces du passé laissées par les générations antérieures, ces « sources », ces matériaux livrant des informations qui permettent de bâtir un récit et de tenter d’interpréter les faits sociétaux. Or, les conditions de la bonne production du savoir historique implique que l’historien doit disposer d’un corpus homogène de sources diverses capables de fournir une information nouvelle et originale.

L’émergence de la science historique à Djibouti est handicapée par le difficile accès aux archives, écrites ou sonores. Si certaines sont déposées en France notamment au Archives nationales d’outre-mer à Aix-en-Provence, aux archives diplomatiques de Paris et de Nantes, aux archives du service historique de l’armée, etc. (sans compter les fonds privés), de nombreux papiers émis par l’administration de la période « coloniale » (CFS), de la période de l’autonomie (1967-1977 dans le cadre du statut du territoire des Afars et des Issas), puis de la République souveraine de Djibouti depuis 1977, se trouvent encore sur le sol djiboutien.

Avec l’aval du président de l’Université de Djibouti, Dr Abdillahi Omar Bouh, l’historien djiboutien et directeur du centre de recherche de l’UD(CRUD), Dr Adawa Ali Ganta, et son homologue française, le professeur Colette Dubois, ont conduit des opérations pour repérer l’existence de papiers administratifs dans les préfectures. … Une expérience pilote à Dikhil. En février 2007, les deux universitaires ont contacté l’ex préfet de la région de Dikhil, Moussa Djama Guedi.

Ils l’ont sensibilisé sur la nécessité de faire une recherche dans les armoires ou dépôts des différents services de la préfecture de Dikhil pour exhumer de vieux documents écrits. Cette mission exploratoire avait débouché sur d’heureux résultats. Trois ans plus tard, les historiens Adawa Ali Ganta et Colette Dubois, et le conseiller adjoint du SCAC (service de la coopération et d’action culturelle) de l’Ambassade à Djibouti ont rendu une visite de courtoisie au nouveau préfet de la région, Mohamed Cheiko Hassan.

L’entrevue s’est déroulée en présence du premier-adjoint du préfet, Houssein Mohamed Idriss. Elle s’est très bien passée. Puisque l’hôte des deux universitaires a mobilisé plusieurs personnes pour retrouver d’anciens dossiers, les dépoussiérer et surtout procéder au classement des documents retrouvés. Force est de relever l’expérience pilote effectuée dans cette préfecture pour sauvegarder et classer tous les papiers existants. Une pièce dans un local de la préfecture a été affectée pour abriter tous les documents exhumés du passé. L’entreprise est remarquable.

Elle a été menée avec peu de moyens financiers ou matériels. Elle a nécessité beaucoup d’heures de travail. Et par souci d’efficacité, les papiers retrouvés sont depuis classés sur des étagères par années, des années cinquante à nos jours. Les acteurs locaux de cette opération de repérage et sauvegarde d’archives ont également montré aux historiens Adawa Ali Ganta et Colette Dubois les premiers registres d’Etat-civil, notamment de mariages ouverts depuis la fin des années 1920, soit à la création du poste administratifs de Dikhil.

Des classeurs métalliques qui meublent les différents bureaux, renferment encore de « précieux » rapports. Encore faut-il ajouter que toutes ces traces matérielles vont nous éclairer sur l’histoire politique, sociale économique, culturelle de cette préfecture et de ses habitants. Le dépôt de ces vestiges du passé témoigne de la richesse archivistique de la République de Djibouti. Autrement dit, ces documents font partie de son patrimoine et leurs études vont permettre à une nouvelle génération d’historiens de mieux connaître le passé du pays. … Un repérage encourageant à Tadjourah.

Le lundi 8 février 2010, les universitaires Adawa Ali Ganta et Colette Dubois gagnent la ville blanche de Tadjourah. Dès leur arrivée sur place, les deux chercheurs rendent une visite de courtoisie au sultan de Tadjourah, Abdoulkader Houmed. Puis, ils prennent langue avec le chef du Migliss et chef du village, Houmed Barkat Siradj, très écouté en matière de droits coutumiers. Les voici qui prennent le lendemain contact avec le préfet de Tadjourah, Abdourazak Daoud Ahmed. Leur hôte du jour et son adjoint, Mohamed Ali Houmed, leur ont réserve un accueil chaleureux.

Le ton de leur entretien est courtois. Au terme de ces civilités, Dr Adawa s’est chargé de collecter les témoignages des notables d’âge respectable ou avancé. Certes, la tâche paraît anodine. Mais elle s’avère indispensable pour constituer une banque de données sonores. De son côté, le professeur Colette Dubois a exploré les anciens classeurs en métal. L’historienne française a ainsi pu retrouver environ un mètre linéaire de dossiers, notamment les archives du poste de Tadjourah.

Les dossiers réunis dans une chemise couvrent une longue période : 1932-1940 ; 1941-1949 ; 1951-1949 ; 1951-1959 ; 1960-1969. Un rapide sondage semble prometteur pour le repérage des dossiers postérieurs des années 1970. Mieux, les confidences des fonctionnaires de la préfecture de Tadjourah aiguisent la curiosité des deux historiens. Elles concernent le déménagement d’anciens rapports et pièces administratives, déposés en vrac dans un local du camp qui abrite le contingent de la police nationale à Tadjourah.

Fort heureusement, le commandant Awaleh Sougueh leur a permis de visiter les lieux où les deux chercheurs ont pu constater de visu les conditions de conservation préoccupantes de ce dépôt. Une opération de sauvegarde s’impose de toute urgence avant que les intempéries ne dégradent ces documents jetés à même le sol. Toutefois, Dr Adawa garde l’espoir que les autorités locales entament une action dans ce sens qui soit susceptible de garantir la préservation de ces traces du passé. … Des fonds d’archives à Djibouti ville.

De retour dans la capitale, les historiens Adawa Ali Ganta et Colette Dubois poursuivent leur quête des vestiges écrits de notre passé. L’universitaire use de ses relations pour faire la connaissance du président du Tribunal du Statut Personnel ou l’ex Charia Islamique. L’un de ses amis, Hassan Mohamed Kamil, exauce son vœu. Historien formé par le professeur Dévisse de l’Université de Paris 1et conseiller technique auprès du Premier Ministre, l’homme a introduit les deux chercheurs auprès de Farah Said Nour, président du Tribunal du Statut Personnel compétent pour se prononcer sur les litiges d’ordre matrimonial.

Le jeudi 18 février, celui-ci saisit l’opportunité de leur rencontrer pour dresser un historique des procédures relatives au droit familial. Puis, le haut magistrat les met en contact avec Ibrahim Omar Boudin, archiviste, et Ibrahim Ahmed Daoud, magistrat, qui leur ont ouvert les registres d’actes divers (mariages, contrats, divorces, décès, etc.) tenus par les différents cadis de Djibouti-ville. Ces très nombreux registres en langue arabe, dont le plus vieux date de 1901, sont d’intérêt majeur pour connaître les activités et relations sociales des premiers citadins de Djibouti-ville, leurs activités.

Ces registres, plusieurs dizaines, mériteraient d’être sauvegardés, et pour certains réparés. Toujours avec l’appui de l’ami Hassan Kamil, Dr Adawa Ali Ganta et le professeur Colette Dubois ont pu visiter l’Imprimerie nationale qui détient d’anciens numéros du Journal officiel de l’ex TFAI (Territoire français des Afars et des Issas) et toute la collection du Journal officiel de la République de Djibouti. Toujours est-il que les deux historiens ont eu le mérite de consulter les fonds d’archives privés, sis à la gare centrale de Djibouti ville, du CDE (chemin de fer djibouto-éthiopien).

 L’occasion était trop belle pour sensibiliser les responsables de la compagnie ferroviaire sur la nécessité de conserver les archives qui témoignent tant de la culture des cheminots que de l’intérêt économique du chemin de fer pour Djibouti. Contrairement aux idées reçues, ces initiatives exploratoires, qu’il convient bien sûr de poursuivre dans tous les ministères et institutions publiques, démontrent si besoin est que la République de Djibouti renferme un riche patrimoine archivistique sur son sol national.

Il importe donc de les conserver. L’enjeu mobilise le directeur du CRUD, Dr Adawa Ali Ganta, et le président de l’Université, Dr Abdillahi Omar Bouh qui partagent une conscience aigue de l’importance des archives existantes de la République de Djibouti. Des vestiges sous forme de manuscrits ou procès-verbaux ou d’actes d’état civil grâce auxquels les historiens d’aujourd’hui et de demain seront en mesure de retracer les mémoires de notre passé.

Source : La Nation, quotidien d'informations générales

http://www.lanation.dj/news/2010/ln69/national15.htm