Accès aux documents administratifs au Sénégal
ACCES AUX DOCUMENTS ADMINISTRATIFS ET ACCES A L’EMPLOI
Atoumane MBAYE[1]
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Aujourd’hui, le monde est entré de plain-pied dans l’ère de l’information avec l’émergence de technologies de pointe favorisant un accès de plus en plus rapide à l’information.
Soucieux d’en savoir toujours davantage, les usagers veulent accéder, presque sans délai, aux informations détenues par les administrations publiques et considèrent qu’il s’agit là d’un droit , le droit à l’information. Guy BRAIBANT, éminent archiviste français, parle d’ailleurs de « troisième génération des droits de l’Homme » après les droits civiques et politiques nés de la Révolution française et des droits économiques et sociaux acquis au cours de la première moitié du XXème siècle.
Dans ce contexte, les administrations publiques des pays africains se trouvent confrontées à un dilemme : communiquer l’information aux usagers tout en veillant à garantir la sûreté de l’Etat et la protection de la vie privée des citoyens.
Au Sénégal comme dans la plupart des pays de l’Afrique subsaharienne, l’accès à l’information administrative n’est pas toujours chose aisée et cette situation a pendant longtemps constitué et constitue encore sinon un frein du moins un obstacle pour l’accès des citoyens à l’emploi.
Combien de personnes à la recherche d’un emploi se sont-elles heurtées au mur de la rétention de l’information au niveau des services publics ? Combien d’entreprises n’ont pas participé à des appels d’offres faute d’accéder aux dossiers de marchés ? Assurément, ces personnes et ces entreprises ne se comptent pas.
C’est que jusqu’à une date récente, les décideurs n’avaient pas une pleine conscience du rôle de l’accès à l’information dans l’employabilité des personnes en quête de travail.
Aujourd’hui, avec l’adoption par l’Assemblée nationale de la loi n° 2006-19 du 30 juin 2006 relative aux archives et aux documents administratifs, on peut dire que le Sénégal est, en Afrique subsaharienne, un pionnier dans la réglementation de l’accès aux documents administratifs.
Selon les dispositions de la nouvelle loi, les documents administratifs sont constitués par l’ensemble des documents produits ou reçus par les autorités administratives dans l’exercice de leurs activités.
Les autorités administratives sont constituées par l’Etat, les collectivités locales, les établissements publics, les sociétés nationales, les sociétés à participation publique et les organismes privés chargés de la gestion d’un service public ou investis d’une mission de service public.
L’accès aux documents administratifs est libre et gratuit. Cela favorise désormais l’égalité de chances dans la quête d’un emploi. Les demandes d’emploi ne doivent plus rester en souffrance dans les tiroirs des administrations mais traitées dans des délais raisonnables.
Cessant de se retrancher - à tort dans bien des cas- derrière le caractère confidentiel des informations renfermées par les documents administratifs, les administrations publiques sont désormais convaincues de la nécessité de l’instauration d’un climat de confiance entre elles et leurs usagers.
Des règles ont été édictées afin que chacun puisse avoir la possibilité d’accéder à l’information administrative. Cette nouvelle liberté publique doit nécessairement se traduire par la mise en œuvre d’une nouvelle politique de communication de l’Administration qui, de sa propre initiative, doit aller au devant des citoyens en leur fournissant toutes les informations relatives à ses grandes orientations, ses projets, ses résultats et ses offres d’embauche.
Aux termes de la nouvelle législation, on distingue deux catégories de documents administratifs : les documents nominatifs et les documents non nominatifs.
Est considéré comme nominatif, tout document qui comporte un jugement de valeur sur une personne physique nommément désignée ou aisément identifiable.
Est considérée comme identifiable une personne qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments spécifiques, propres à son identité physique, physiologique, psychique, économique, culturelle, ou sociale.
Ces documents nominatifs ne peuvent être communiqués qu’aux intéressés eux-mêmes ou à leurs ayants – droit.
Les documents non nominatifs quant à eux sont de portée générale et impersonnelle et peuvent être communiqués à tous les usagers si cette communication ne porte pas préjudice à la sûreté de l’Etat, à la vie privée des individus ou à la protection de la nature. Dans ces différents cas de figure, il existe des délais spéciaux de communication.
Avec la rétention tous azimuts de l’information, c’est le principe même d’égalité des chances qui est remis en question. Combien de citoyens ont-ils vu leur vie prendre une tournure qu’elle n’aurait certainement pas prise si à un moment donné certaines informations leur avaient été communiquées. Comme disait l’autre, « même pour être recalé à un examen, il faut d’abord y participer ».
Au Sénégal, nous pouvons dire que l’avènement de l’Internet a grandement contribué à « démocratiser » l’accès à l’information administrative avec la mise en place d’applications consultables par tous les citoyens quel que soit leur lieu de résidence. C’est ainsi qu’il existe aujourd’hui un système de Gestion Automatisée des Informations Douanières (GAINDE) pour les formalités douanières, un site créé par l’Agence de l’Informatique de l’Etat (ADIE) sur les démarches administratives, un site pour consulter les listes électorales, un autre pour accéder au fichier d’identification nationale, etc.
En conclusion, nous pouvons affirmer que si aujourd’hui l’accès des citoyens à l’information administrative est devenu une réalité au Sénégal c’est grâce à la conjugaison de deux facteurs essentiels : l’exigence des citoyens qui refusent désormais de voir leurs chances de réussite sociale amoindries voire compromises par une rétention de l’information fondée sur des arguments ne résistant pas toujours à l’analyse et, du côté de l’Etat, les impératifs de transparence administrative et de bonne gouvernance.
[1] Directeur adjoint des Archives du Sénégal - Correspondant officiel du PIAF