Analyse de la situation archivistique au Mali
1er juillet 1913- 1er juillet 2013 : « Les Archives du Mali ont 100 ans »
Analyse de la situation archivistique au Mali
Entre 1878 et 1960, le Mali a connu une pénétration et une domination françaises. Pendant cette période, la colonie du Soudan français (actuelle Mali), une des colonies du groupe de l’AOF fut, comme les autres divisée en circonscriptions (cercles), elles mêmes subdivisées (arrondissements) toutes dirigées par des administrateurs des colonies (commandants de cercle, chefs d’arrondissement). Ces administrateurs sont placés sous l’autorité du lieutenant Gouverneur de colonie qui rend compte à son tour au Gouverneur Général des colonies représentant la métropole en AOF.
C’est dans ce cadre institutionnel et territorial que sont nées les archives au Mali. C’est précisément, le 1er juillet 1913 que le Gouverneur Général W. PONTY posa l’acte de création du dépôt des archives du Soudan français au même titre que ceux des autres colonies du groupe. Ce dépôt d’archives devenu service des archives nationales (1981) et par la suite érigé en Direction Nationale des Archives du Mali (2002) fût créé en vue d’organiser et d’assurer une bonne gestion des archives.
Malheureusement, au Mali, les archives produites par les différentes administrations (qui se sont succédées) :
pour se souvenir et garder une trace ;
pour apporter une contribution importante au développement social ;
pour justifier les droits et les devoirs de l’administration et des administrés ;
pour servir de véritable laboratoire de recherche pour les historiens ;
sont dans un état de désordre et d’inquiétude totale. Leur gestion est si médiocre qu’elle ne garantit plus les droits des collectivités ou des personnes.
Le malaise est dû à plusieurs facteurs :
Facteur humain (manque de personnel qualifié)
Au Mali, généralement, ce sont les fonctionnaires de tout grade et de toute sorte de formation qui s’occupent des archives. C’est presque le cas dans tous les services d’archives existant.
Sauf exception, ces gestionnaires d’archives sont dépourvus de qualification ou de spécialisation acquise.
Il est donc assez courant de retrouver des gestionnaires d’archives :
+qui ne connaissent pas la structure hiérarchique des archives, les concepts liés au métier, le fonctionnement de leur propre service, leur hiérarchie, leur instance de décision, l’implication et la place de l’archiviste pour l’atteinte des objectifs de la tutelle, leur pouvoir d’intervention. Tout ceci n’aident-il pas le gestionnaire à mieux comprendre une partie de son travail et le sens qu’il faut lui donner ? Certainement oui, M. Laroche dans son rapport d’inspection en 1948 dans les cercles et subdivisions disait en ces termes : « L’archiviste, auxiliaire de l’administration dont il est la mémoire, doit être un spécialiste de l’organisation de cette administration, rompu à ses tâches, et sans cesse au courant de sa structure et de son évolution »,
+qui ne connaissent pas les concepts et préceptes liés à cette discipline, le rôle et la place de l’archiviste, les multiples responsabilités qu’il doit ou devrait assumer.
+qui ignorent l’importance des textes législatifs et réglementaires relatifs aux archives ( le droit qui régit les services d’archives et leur vie quotidienne).
+qui ne maîtrisent pas les principales théories et pratiques qui ont marqué l’Histoire des archives comme :
la théorie des âges qui permet de faire une distinction entre les archives du 1er âge, les archives du 2è âge et celles du 3è âge
la chaîne documentaire,
le respect du fonds,
le tri et élimination,…
En somme, le personnel affecté aux archives par les gouvernants au Mali n’a ni la compétence, ni la capacité requise :
pour promouvoir le métier d’archiviste,
pour défendre l’intérêt des services d’archives,
pour inciter les structures à se doter de service d’archives dans tous les secteurs de la vie nationale (Administrations, Banques, Assurances,…),
pour développer la recherche documentaire par la publication (de répertoires, de guides, de dossiers documentaires, de catalogues).
Facteurs techniques
² Local ou bâtiment
La masse d’archives des services visités dépassent de loin les possibilités en locaux.
Dans la plupart des services visités, les archives sont logées dans des bâtiments administratifs réhabilités. Ces locaux réhabilités demandent moins de coût que la construction de bâtiments neufs mais généralement :
-ils sont trop petits pour accueillir les archives et les annexes qui s’y rapportent ;
-ils sont en très mauvais état de conservation ;
-ils sont incompatibles avec les nécessités fonctionnelles d’un service d’archives ;
-ils ne sont pas flexibles : un bâtiment d’archives est flexible quand il est facilement adaptable aux changements des besoins nés du nombre ou de la nature, aussi bien des documents et des utilisateurs que des services rendus ;
-l’éclairage et la ventilation de la plupart des bâtiments d’archives ne sont pas appropriés à chacune des fonctions des Archives ;
-les bâtiments ne sont pas extensibles : l’extension des Archives est un facteur important à prendre en compte car plus le nombre de documents s’accroit plus le besoin en espace augmente.
² Equipements
Les planchers ou les rayonnages n’arrivent pas à supporter les documents d’archives, ils sont généralement en bois favorisant du cout l’épanouissement des termites.
² Etat de conservation
Les archives maliennes sont très mal conservées. Les documents sont généralement entassés d’abord dans les armoires puis, quelques mois ou quelques années après, par terre dans des magasins repoussants, impropres, à la merci des termites, de la chaleur, de l’humidité. Pire encore, les producteurs d’archives, c'est-à-dire les agents de l’administration, se débarrassent allègrement de ces « vieux papiers » car, pour eux, ils sont sans aucun intérêt. Certains agents n’hésitent pas à dire qu’ils les encombrent inutilement. Alors que ce sont des documents importants et très précieux !
² Le classement des archives
Dans les collectivités locales ainsi que dans certains services, c’est le plan de classement de la série continue « W », réalisé par la Direction Nationale des Collectivités Territoriales en collaboration avec la Direction Nationale des Archives du Mali et le Commissariat au Développement Institutionnel, qui est en vigueur.
Les précurseurs de ce plan de classement de la série continue « W », faute de pouvoir discerner l’essentiel du superflu, le réel de la chimère, semblent confondre deux belles et séduisantes théories : le plan de classement et la numérotation continue.
Le plan de classement : C'est un outil intellectuel qui permet à tous les documents et dossiers de trouver leur place, les uns par rapport aux autres, et d'être logiquement retrouvables et accessibles.
Un plan de classement doit obéir à cinq règles indispensables :
calque de l’activité des services,
simple, logique, permanent et évolutif,
adapté au plan d’archivage,
élément dynamique,
structure « intellectuelle »,
outil de gestion efficace.
Quant à la numérotation continue elle est un rangement de versement « à la suite » dans les magasins. Comme indiqué dans le manuel d’archivistique français (1991), elle n’est pas une « solution de facilité », puisqu’elle implique nécessairement : 1° la rédaction immédiate de fiches pour chaque article ou groupe d’articles de même nature ; 2° la tenue régulière du fichier méthodique ; 3° la dissociation immédiate des éliminables à court ou long terme. Malheureusement, dans la pratique, on fait fi de la troisième implication, une implication non moins importante que les deux premières.
² Textes législatifs et réglementaires
Sur le plan législatif des efforts ont été faits : une loi sur les archives a été voté en 2002 et mis en application la même année par un décret. On ne cesse de dire que ce décret pose les grands principes archivistiques (versement, destruction, responsabilité,…) et qu’il éclaircit certains concepts (tri, communication,…). Malgré tout cela les archives sont dans des situations très critiques. Cette loi n’est–elle pas insuffisante à elle seule? Certainement oui, elle doit être complétée par des notes de service qui ont pour objet de compléter et de préciser davantage les modalités d’application de la loi. La note de service précise mais ne remplace pas la loi. Elle a pour but principal d’harmoniser et de normaliser l’application de la loi. Elle limite les pratiques males saines de certains gestionnaires d’archives. De surcroit, la note de service fait davantage appel à la procédure judiciaire.
A la note de service peut s’ajouter l’annuaire de l’archiviste. L’annuaire de l’archiviste informe par ses publications les archivistes de toutes les circulaires et décisions qui seront ultérieurement publiées.
L’analyse de la situation actuelle des archives du Mali nous amène à concevoir une politique de gestion des archives au Mali. ( à suivre)
Tidiany KARAMBE
Conservateur d’Archives/
Spécialiste en Valorisation du Patrimoine Documentaire