Atoumane M'Baye (Sénégal) : Quel statut juridique pour les documents d'archives d'organismes publics privatisés ?

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uel statut juridique pour les documents d’archives d’organismes publics privatisés ?

Atoumane MBAYE *

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La nouvelle législation archivistique sénégalaise introduite par la loi n°2006-19 du 30 juin 2006 relative aux archives et aux documents administratifs stipule dans son article 20 que « les archives des entreprises privatisées qui sont antérieures à la privatisation sont et demeurent des archives publiques et doivent par conséquent faire l’objet d’un versement aux Archives nationales. Cependant, pour faciliter la transition, les dossiers des cinq dernières années peuvent être laissés en dépôt dans l’entreprise. A l’expiration de ce délai, ces archives sont versées aux Archives nationales ». 

S’il a fallu inclure une telle disposition dans la loi c’est parce que le législateur a pensé, et avec raison, qu’il fallait adapter le cadre juridique régissant les archives et documents administratifs au nouveau contexte politico-économique du pays. Après les années de marasme économique des années 1970 caractérisées par une longue période de sécheresse, le Sénégal a mis en place, dès 1981, un Plan de Redressement  Economique et Financier (PREF). Ce plan a été remplacé en 1985 par le Plan d’Ajustement Structurel en partenariat avec les institutions monétaires internationales.

C’est à cette époque que remontent les premières privatisations. Se fondant, en effet, sur le déséquilibre des finances publiques et des autres agrégats macro-économiques, la Banque Mondiale et le FMI ont imposé au pays cette nouvelle forme de politique. Cette politique du "moins d'Etat, mieux d'Etat " a abouti à une vague de privatisations ou d'ouvertures de capital dans plusieurs entreprises publiques et parapubliques. 

Au Sénégal, les privatisations sont régulées par la loi 87-23 du 18 Août 1987 et celle 95-25 du 29 Août 1995 et les cellules chargées de diriger ce processus au Sénégal sont la Cellule de gestion et de contrôle du Portefeuille de l'Etat reliée au Ministère de l'Economie, des Finances et du Plan et la Commission Spéciale de Suivi du Désengagement de l'Etat dont les membres sont désignés, pour trois ans, par le Président de la République. 

Aujourd’hui plusieurs sociétés d’Etat (secteur de l’eau, commercialisation des oléagineux, chemins de fer, transport public urbain, réparation navale, distribution commerciale, etc.) ont été privatisées.  Cependant, au moment de ces changements de statut, personne n’a pensé au sort des documents qui ne sont pas de simples biens mais des éléments du patrimoine national que l’Etat a le devoir de conserver pour les besoins de sa propre gestion et pour la recherche. C’est dans le souci de prendre en compte cette nouvelle réalité que le législateur sénégalais a vite fait de trancher en adoptant les dispositions ci-dessus évoquées.

La conservation des documents durant une période de 5 ans par ses acquéreurs après la cession d’une entreprise publique a été prévue pour faciliter la transition. Même si le Sénégal a adopté cette formule, il faut reconnaître qu’elle n’est pas la seule, le but ultime étant de préserver les archives constituées avant la privatisation qui sont partie intégrante de la mémoire nationale et qu’il ne faut pas confondre avec les archives privées qui, aux termes de la loi n°2006-19, sont celles qui procèdent de l’activité des personnes physiques ou des personnes morales de droit privé, à l’exception des organismes privés chargés de la gestion d’un service public ou investis d’une mission de service public.

Comme on peut le constater, les archives des entreprises publiques privatisées produites avant la privatisation sont et demeurent, aux yeux du législateur, des archives publiques car n’étant pas le fait, au moment de leur création, de personnes physiques ou de personnes morales de droit privé. Dans la nouvelle législation sénégalaise, la propriété des archives privées est reconnue aux particuliers et aux personnes morales de droit privé même si ces archives peuvent être placées dans les dépôts d’archives publiques ou soumises au contrôle de la Direction des archives du Sénégal dans des conditions fixées par décret (dépôt, legs, don). Elles peuvent aussi,  lorsqu’elles présentent un intérêt public du point de vue de l’histoire, être classées par décret aux Archives nationales.

En définitive, aujourd’hui que le monde en général et l’Afrique en particulier sont entrés de plain pied dans l’ère de la mondialisation qui se traduit par une économie globalisée caractérisée par des politiques économiques plus libérales et leur corollaire de privatisations tous azimuts, il est bon, à mon sens, d’attirer l’attention des professionnels du Sud, les africains surtout, sur cette nouvelle réalité de notre profession.


* Conservateur responsable du Bureau d’étude et de veille à la Direction des Archives du Sénégal, Correspondant officiel du Portail International Archivistique Francophone