Discours de Normand Charbonneau
Monsieur Lemoine, chers collègues, chers amis,
L'archiviste que vous avez devant vous est, tout à la fois, fier et intimidé par cet honneur qu'il ne mérite certainement pas mais qu'il accepte volontiers. Chacun d'entre nous est une somme d'expériences, de rencontres et d'opportunités. J'ai sans doute eu la chance de profiter des meilleures.
À propos des rencontres, je mentionnerai celle, récente, fructueuse et agréable - il vaut la peine de le noter - avec Monsieur Lemoine.
J'ajoute les amis de l'archivistique francophone qu'ils soient de Belgique, de France, d'Haïti, du Sénégal, de Suisse, de Tunisie ou du Vietnam pour ne nommer que les pays activement impliqués dans nos efforts de coopération au sein du Conseil de direction de l'AIAF et du Comité de pilotage du PIAF. Je mentionne tout spécialement Marcel Caya et Gérard Ermisse, parrains de mes premiers pas dans cet univers. J'en profite pour saluer et féliciter Claude de Moreau, Didier Grange et Jean-Wilfrid Bertrand, récipiendaires de cet honneur l'automne dernier ainsi que mon ami Hedi Jallab avec qui je partage cette remise aujourd'hui.
D'autres remerciements doivent être adressés à mes collaborateurs des Archives du Québec dont je suis si fier et sans qui tout serait plus difficile, ainsi qu'à mon institution, Bibliothèque et Archives nationales du Québec et à son président et directeur général, monsieur Guy Berthiaume qui m'honore de sa confiance.
Mes derniers remerciements sont personnels, d'abord à ma compagne Julie Fournier, pour tout... Ensuite à Lucien Charbonneau, mon père, défenseur de la langue française qui m'a donné, imposé à certains moments, le goût d'une utilisation précise de cette langue si souvent malmenée chez-nous; de même qu'à Jacqueline Audette, ma mère, généalogiste qui m'a entraîné dans sa quête de notre histoire familiale au travers des archives.
Je terminerai ce message trop long en vous parlant de notre profession. Nous sommes gardiens de la mémoire de nos entreprises et de nos institutions ainsi que de celle d'individus au parcours significatif ou représentatif. Ce faisant, chacun dans nos univers, nous rassemblons, protégeons, traitons et rendons accessibles les composantes d'un ensemble dichotomique. C'est Milan Kundera qui disait que "c'est dans les dossiers de la police que se trouve notre seule immortalité". Ces quelques mots troublants nous amènent à l'autre sens de l'archive qui n'est pas que témoignage culturel mais aussi outil de gouvernance et même, dans certains pays et contextes, moyen de contrôle et même de répression. Des recherches savantes s'appuient sur les archives témoignant de ce côté sombre de l'humanité, pensons aux études de Sonia Combe. Plus encore, de par le monde, des programmes de réconciliation, inspirés par celui mis sur pied par l'archevêque Desmond Tutu en Afrique du Sud, suite à la fin de l'apartheid, permettent à des citoyens de faire valoir leurs droits, de faire reconnaître les traitements reçus. Mes collègues et moi avons eu l'occasion de rencontrer des personnes impliquées dans des recours en réconciliation parce qu'elles avaient été victimes d'institutions aveugles. Des initiatives semblables se déroulent concurremment dans de nombreux pays où des enquêtes révèlent que des jeunes ont subi des sévices physiques et psychologiques alors qu’ils fréquentaient des établissements scolaires et des institutions religieuses. Je ne peux oublier le traitement réservé dans mon pays à des milliers d’Amérindiens ayant séjourné dans des pensionnats religieux entre 1880 et 1984.
Le contact avec ces personnes écorchées permet de prendre la complète mesure de notre profession, trop discrète mais combien importante.
C'est cela la grandeur des archives, témoin et preuve, culturelles et citoyennes. Notre action à l'AIAF suggère des façons de faire qui, de la création du document jusqu'à son utilisation, permettent une saine gouvernance en appui aux individus, aux entreprises et aux institutions. L'archiviste est gardien et médiateur dans une société en quête de sa mémoire mais aussi à la recherche de la vérité et de la justice.
Normand Charbonneau
Paris, 9 janvier 2013