L'art contemporain explore l'archive (Belgique)

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10 années 3 mois

Douze artistes contemporains nous livrent une réflexion stimulante sur la notion de pièce d’archives.
Documentaire ou fictionnelle : quelle est la valeur de la pièce d’archives visuelle, sonore, textuelle ? Ces innombrables fragments sauvés du passé éclairent-ils « naturellement » les faits historiques ou doivent-ils s’offrir à notre regard pour exister, trouver un sens et sortir de leur silence opaque ? Telles sont quelques-unes des questions que se posent les créateurs rassemblés par Eric Van Essche et Laurent Courtens dans le cadre de cette exposition tout en finesse.

Rejouer l’archive

Nul besoin d’être un rat de bibliothèque pour apprécier les œuvres montrées ici : croisant la fiction et le documentaire, la « grande histoire » et le récit personnel, les artistes posent un regard critique non dénué d’humour sur les matériaux avec lesquels ils jonglent. Tous ont en commun d’éclairer les zones d’ombre de l’histoire, de la mémoire coloniale aux guerres civiles en passant par les conflits territoriaux.
Sortant des carcans, des discours dominants, des grands récits officiels qui ont longtemps régi nos manuels, ils jouent avec les pièces d’archives et se les approprient sous de nombreuses formes. Avec Agent double, le Français Mathieu Kleyebe Abonnenc explore le volet intime de la pièce d’archives à travers le passé colonial de son grand-père, qui a donné son patronyme à un moustique porteur du paludisme en Guyane française : « L’insecte devient en quelque sorte mon parent, et une archive vivante de cette histoire », explique l’artiste.
Frôlant elle aussi l’ironie, la Conversation Piece de Gintaras Didziapetris est la retranscription d’un entretien téléphonique d’une banalité extrême, document sonore improbable retrouvé dans les archives du KGB de Lituanie, et rejoué par deux comédiens à Vilnius.

Sauver, brouiller, dégrader

L’exposition se poursuit hors les murs de l’Iselp, à quelques stations de métro de là, avec l’installation de Claire Angelini au bureau L’Escaut Architectures : elle y montre le volet éditorial des recherches conduites sur la Cité de la Muette à Drancy (Paris), devenue camp d’internement puis de regroupement des Juifs de France en 1941-42. Le Belge Jasper Rigole nous livre quant à lui son grand projet multimédia : institut fictif qui rassemble films, photos et documents personnels dénichés dans des brocantes et magasins de seconde main depuis 2005. Ce bric-à-brac de traces intimes dont la valeur émotionnelle est aujourd’hui perdue, il en redistribue les souvenirs orphelins à travers projections, expos et projets en ligne, questionnant sans relâche les concepts d’authenticité et d’objectivité.
Dans Belgian Journey, Wil Mathijs a volontairement altéré son héritage familial en polluant les images d’archives de son grand-père, évoquant le passé colonial de la Belgique en mêlant la reconstruction abstraite d’une histoire personnelle à la mémoire collective.
De nombreux événements annexes viennent également nourrir l’exposition : un colloque, des rencontres, lectures et projections. L’artiste et écrivaine An Penders (en résidence à l’Iselp) propose un cycle de quatre conférences-performances et accueille les visiteurs à découvrir une partie de son projet De Chine. Elle a également collaboré avec l’éditeur belge Ets Decoux dans le cadre du livre et de l’installation produits pour l’exposition (Les Boutiquiers).
« ARCHIVES/ Déplier l’histoire Iselp, boulevard de Waterloo 31, 1000 Bruxelles, jusqu’au 28 juin, 02-504.80.70.

Source : Le soir (Belgique)